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The Cinema as a Social Actor: Codification, Reception, and Communicational Issues

Le Cinéma comme Acteur Social: Codification, Réception et Enjeux Communicationnels

Sanaa SOUDDATI

Université Abdelmalek Essaadi, Maroc

Abdelfattah LAHIALA

Université Abdelmalek Essaadi, Maroc

Moulay maati ALAOUI FANNANE

Université Abdelmalek Essaadi, Maroc

Abstract

This study aims to examine the relationship between cinema and communication, by foregrounding the communicative dimension of cinema and its capacity to transmit ideas, values, and influence collective consciousness. Contrary to the traditional view that associates cinema primarily with visual entertainment, this research addresses the communicative aspect of cinematic art, considering it a mass-mediated and symbolically coded discourse received by a culturally and socially diverse audience. Through the lens of mass communication theory, the study reveals that film is not merely an aesthetic product but a social discourse that utilizes imagery, language, and symbols to fulfill cognitive, emotional, and ideological functions. The study is structured around four main axes: First, the theoretical framework, which situates cinema within the mass communication system, drawing on key concepts such as the linear communication model (Shannon and Weaver 1949) and the encoding/decoding theory (Hall 1980). Second, the historical development of cinema as a tool for social communication, from silent films to the digital era, with attention to its use in propaganda, development, and social critique. Third, analyzing cinematic elements that contribute to conveying social messages, particularly the screenplay, visual composition, language, and symbolism. Fourth, a case study of selected Arab and international films, such as The Yacoubian Building (Egypt) and Parasite (South Korea), to illustrate how cinema functions as a communicative discourse in the service of social issues. The study also explores the interactive relationship between cinema and the viewer, based on the interpretation and reconstruction of meaning. A cinematic message is not understood in isolation, but rather reinterpreted through the viewer’s cultural framework, opening up a discussion on levels of reception and dynamics of influence. The case studies show that films can stimulate public debate, shape opinion, and even contribute to social change. The study concludes that, due to its audiovisual nature, cinema is one of the most powerful media for creating emotional and cultural communication across social boundaries.

Keywords: Cinema, Mass communication, Semiology, Social influence, Stuart Hall.

Introduction

Chaque fois que la lumière s’éteint dans une salle de cinéma, une autre s’allume dans la conscience du public. Le film n’est pas seulement un divertissement visuel ou une narration d’histoires venues d’ici ou d’ailleurs, mais un texte culturel codé, qui exerce un acte de communication multicouches, passant de l’écran au spectateur, du langage cinématographique au langage social. Depuis ses premières origines, le cinéma a été plus qu’une simple projection d’images en mouvement ; il a été un outil d’influence, une source d’imagination, et un moyen de créer des représentations symboliques du soi et de l’autre, de l’individu et de la société, de l’existence et du sens. Ainsi, le cinéma dépasse le cadre étroit de l’ « art » pour entrer dans le champ de la « communication », où l’image ne signifie pas seulement ce qu’elle montre, mais aussi ce qu’elle cache, diffère ou suggère.

Dans cette étude, la question centrale à laquelle nous allons tenter de répondre est la suivante : comment le cinéma accomplit-il une fonction de communication sociale qui dépasse la simple réception esthétique, pour devenir un discours actif dans la production, la transmission et la déconstruction du sens collectif ? C’est une question où se croisent le théorique et le symbolique, et où l’analyse du discours cinématographique s’entrelace avec les modes de réception du public, dans le contexte des profondes transformations du paysage médiatique et culturel. Le cinéma n’est plus simplement le « miroir de la société » au sens traditionnel, il est devenu un outil d’expression, un média de codage et un canal de reproduction du sens.

L’importance de ce sujet réside dans la combinaison de deux approches rarement réunies dans une même étude : l’approche de la communication de masse, qui considère le film comme un moyen de communication comprenant un émetteur, un message et un récepteur ; et l’approche du discours cinématographique, qui lit le film comme une structure symbolique chargée de significations culturelles et sociales. Dans un contexte marqué par le recul de la centralité de la télévision et l’essor des plateformes numériques, le cinéma – que ce soit dans les salles ou en streaming – retrouve une capacité renouvelée à influencer les représentations et les consciences, accomplissant des fonctions qui dépassent le simple plaisir esthétique pour interroger le soi et la réalité. Ainsi se précise la problématique de cette étude à travers cette question essentielle : comment le cinéma accomplit-il une fonction de communication sociale, en produisant des messages culturels codés, relus et interprétés par un public diversifié, au sein d’un processus interprétatif ouvert?

Problématique de la recherche

Cette étude vise à analyser les frontières entre l’expression esthétique du cinéma et sa fonction communicationnelle, à partir d’une interrogation centrale : peut-on considérer le cinéma comme une forme de discours social influent, et non simplement comme un art visuel ?

Méthodologie adoptée

La recherche repose sur une approche analytique-descriptive, soutenue par une double lecture sémiologique et sociologique.
Sur le plan théorique, elle s’appuie sur l’analyse des concepts fondateurs des théories de la communication de masse, en les articulant aux fonctions du cinéma au sein de ce dispositif, à travers les travaux d’André Bazin, de Stuart Hall, de Robert Stam et d’Umberto Eco. Sur le plan appliqué, l’étude mobilise un corpus de films arabes et internationaux, analysés en tant que discours communicationnels à travers leurs composantes visuelles, verbales et symboliques, tout en examinant la relation entre le discours cinématographique et sa réception par le public.

Objectif de l’étude

Cette étude a pour objectif de mettre en lumière les mécanismes qui font du cinéma un vecteur actif de production de sens social et de formation de la conscience collective, en explorant le lien entre l’image cinématographique et les contextes culturels de réception.

Importance de l’étude

L’importance de cette recherche réside dans la nécessité de mieux comprendre le rôle que joue le cinéma dans les sociétés contemporaines, à l’heure de l’essor des plateformes numériques et de la mutation des modes de réception, ce qui impose de repenser la nature du langage visuel et son efficacité communicationnelle.

Chapitre I : La place du cinéma dans les théories de la communication de masse

Du message au codage

Le concept de communication, dans ses fondements scientifiques, a été lié à l’idée de transmission de messages à travers des supports mesurables et analysables, comme l’ont formulé Claude Shannon et Warren Weaver dans leur modèle mathématique, devenu par la suite une base essentielle de toute pensée médiatique. Dans cette conception, la communication est perçue comme un processus organisé partant d’un émetteur, passant par un message et un canal, pour atteindre un récepteur, pouvant être perturbé par un « bruit » qui altère la réception du sens.

Dans ce modèle, on peut considérer le film comme un message audiovisuel codé, produit par un réalisateur ou une équipe technique (émetteur), via un support visuel et sonore (le canal), et reçu par des spectateurs dans des contextes sociaux et culturels variés (les récepteurs). Ainsi, chaque plan, chaque scène, chaque rythme visuel ou sonore est élaboré selon une architecture communicative proposant un sens susceptible d’être compris, mal compris, ou réinterprété

Du modèle linéaire à la réception multiple

Si le modèle linéaire suppose un processus à sens unique, le développement des théories médiatiques et de la critique culturelle a conduit à reconsidérer la relation entre le message et le récepteur. C’est là que prend toute son importance la théorie du codage/décodage formulée par Stuart Hall, qui redonne au récepteur une place centrale en tant que partenaire dans la construction du sens, et non simple consommateur de celui-ci.

Ainsi, on peut dire que le réalisateur ou le scénariste produit un discours codé dans le film, mais ce discours n’est pas reçu de manière unique ; il passe par des filtres culturels, sociaux et idéologiques qui déterminent la manière dont il sera interprété. Le spectateur peut répondre au discours par l’adhésion, la négociation ou le rejet, ce qui fait du cinéma un espace symbolique de réception pluraliste et d’interprétations multiples. Cette vision établit une compréhension nouvelle du cinéma : non plus comme simple moyen de projection, mais comme système de communication ouvert, où se croisent le pouvoir de l’image et la liberté d’interprétation

Cinéma et médias: limites de l’intersection

Il est vrai que le cinéma se distingue des autres médias par sa fonction expressive, mais cela ne l’empêche pas d’assumer un rôle de média de masse, notamment lorsqu’il est produit et consommé au sein de réseaux culturels étendus. Selon Denis McQuail, les médias ne se contentent pas de transmettre des informations, ils reproduisent aussi le système symbolique de la société et orientent ses représentations et ses valeurs.

Dans ce sens, le cinéma dépasse le simple discours esthétique pour devenir un discours social et symbolique, qui façonne les représentations d’un groupe sur lui-même et sur l’autre. Il opère une fonction de construction de la réalité par le filtre visuel et symbolique, ce qui en fait un champ sémiologique aussi influent et diffusé que les autres formes médiatiques.

De la représentation au discours

André Bazin considérait que le cinéma repose sur l’idée de « foi dans le réel », mais en réalité, il ne reproduit pas le monde tel quel : il le reformule selon une perspective subjective et esthétique incitant à l’interprétation. Cette foi dans la fidélité au réel n’est qu’un leurre visuel sophistiqué, faisant du film un discours non neutre, mais chargé de positions et de significations cachées. Si l’image représente, le montage oriente, le temps découpe, et le langage cinématographique dans son ensemble devient un discours communicatif complexe. Le style du film n’est pas qu’une forme, mais une manière de dire, et donc un acte de communication.
(Bordwell 1997, 56)

Cette idée repose sur la conscience que le cinéma n’est pas objectif, mais engagé ; il parle, même lorsqu’il semble silencieux, et dit même par le silence ou par la répartition de la lumière. Ainsi, intégrer le cinéma dans le champ de la communication de masse nécessite de briser la séparation traditionnelle entre « art » et « message ». Le film ne se regarde pas seulement, il se lit, s’interprète et se reconstruit dans l’esprit du spectateur, au sein d’un processus symbolique et culturel. Des modèles théoriques, de Shannon à Hall, de Bazin à McQuail, nous permettent de comprendre que le cinéma n’est pas un discours fermé, mais un texte communicatif ouvert, exerçant son pouvoir à travers l’image, mais tirant son efficacité de l’interaction avec le spectateur (Shannon and Weaver 1949; Hall 1980; Bazin 1967; McQuail 2010).

Chapitre II: De la représentation à l’influence- mutations du cinéma en tant que média de communication

Le cinéma comme discours social

L’image cinématographique n’a jamais été innocente. Depuis ses débuts, elle agit comme un acte symbolique qui à la fois révèle le monde et le dissimule. Le plan peut sembler être un simple reflet visuel de la réalité, mais il est en réalité découpage, sélection, orientation, et mise en forme dans une structure de représentation qui cherche à imposer un sens, influencer une émotion ou consolider une vision. Avec l’évolution de l’industrie cinématographique, ces représentations ne sont plus limitées à la sphère esthétique ou technique, mais deviennent actrices dans la construction de l’imaginaire collectif, dans la formation du goût, et dans la reproduction de la perception de soi et de l’autre.

La représentation, dans ce contexte, n’est pas un miroir mais un discours. C’est une construction symbolique où se matérialisent pouvoir, classe sociale, genre et appartenance. Et le changement le plus significatif que le cinéma a connu n’est pas seulement le passage du noir et blanc au numérique, mais sa transformation en un média de communication complexe, qui interpelle les sociétés non pas de l’extérieur, mais depuis l’intérieur de leurs tensions, de leurs luttes et de leurs aspirations.

De l’amusement à l’orientation

Le cinéma a longtemps été considéré comme l’un des principaux outils de divertissement du XXᵉ siècle. Mais derrière cette façade, il a été, et reste, un outil d’orientation subtile, un canal de reproduction des valeurs sociales et culturelles. Il a été utilisé dans des campagnes de propagande, des programmes de sensibilisation, des discours identitaires. En Allemagne nazie comme en Union soviétique, le cinéma fut un appareil idéologique explicite. En France, à l’époque coloniale, l’image cinématographique fut exploitée pour remodeler la conscience de « l’autre » dans une narration de supériorité civilisationnelle. Même Hollywood, souvent présenté comme une usine à divertissement, a clairement participé à la construction de l’image que les Américains ont d’eux-mêmes et du monde.

Il ne s’agit pas seulement du contenu, mais aussi des mécanismes de narration et de construction : qui est représenté ? Qui parle ? Qui est interrompu ? Comment le personnage est-il construit ? Comment le corps est-il filmé ? Comment l’espace est-il éclairé ? Ces détails, visibles ou invisibles, sont des clés pour lire le film comme un discours de communication, qui écrit le monde comme il veut qu’il soit perçu.

Cinéma et tournant numérique

Avec les transformations numériques, le cinéma s’est libéré de l’autorité des salles obscures, pour pénétrer des espaces plus fluides. L’écran n’est plus limité à une salle noire et à des horaires précis, il est désormais disponible dans la poche, sur le téléphone, dans la chambre. Avec ce basculement, la réception a changé. Le spectateur ne va plus vers le film, mais le film vient à lui, dans son isolement, dans ses envies, dans ses humeurs.

Ce changement technique a redéfini la fonction du cinéma : ce n’est plus un simple « outil de projection », mais une plateforme d’interaction, un objet de débat, une image partagée et découpée, relue à travers les réseaux sociaux, et reconstruite dans des contextes inattendus. Le réalisateur n’est plus le seul à contrôler l’image, car désormais, le spectateur – en tant que public et producteur – participe lui aussi à la reconfiguration du sens, parfois consciemment, souvent inconsciemment.

Entre cinéma et mobilisation symbolique

Dans le monde arabe, le cinéma a toujours été un terrain de tension symbolique entre le discours du pouvoir et celui de l’opposition, entre le réalisme social et le rêve collectif, entre l’image du gouvernant et celle de la rue. Des films de Youssef Chahine qui critiquaient l’impasse arabe, aux expériences du cinéma palestinien, algérien et marocain qui ont résisté à l’effacement par l’image, le cinéma arabe n’a jamais été un luxe artistique, mais un moyen de communication chargé d’histoire, d’identité et de lutte.

Ces films ne s’adressaient pas au public arabe comme à de simples consommateurs, mais comme à des acteurs du sens. Ils ont reflété les tensions entre modernité et tradition, entre élites et masses, entre colonialisme et postcolonialisme, dans une image visuelle imprégnée du désir de comprendre, de dire et de s’émanciper.

Le cinéma n’est pas un média neutre, c’est un espace chargé d’interprétations, une plateforme de reproduction des valeurs, un terrain de négociation symbolique autour du pouvoir, de l’identité et de l’appartenance. Le cinéma a évolué, passant de la représentation du réel à son influence, de la reproduction du discours à sa remise en question. Il est, au fond, un outil de communication qui ne dit pas tout, mais qui suggère beaucoup, et laisse une empreinte allant bien au-delà de la simple vision.

Chapitre III : Les éléments filmiques comme porteurs du discours social

Le scénario comme dispositif de construction du sens

Dans la structure d’un film, le scénario n’est pas qu’un simple cadre narratif pour les événements ; c’est le premier espace où se construisent les représentations des personnages, où se formulent les tensions, où s’insèrent les symboles. C’est le schéma du discours avant qu’il ne devienne image, la structure du langage avant sa concrétisation visuelle. Et parce que toute histoire est racontée depuis un certain angle, le choix de cet angle n’est pas une simple décision technique, mais un acte de communication chargé de suggestion et d’orientation.

Le scénario, en tant que système de narration du monde, détermine ce qui est dit et ce qui est tu, qui parle et qui est exclu, ce qui est mis en avant et ce qui est relégué. C’est ici qu’il croise la fonction de communication, car toute narration est une forme de représentation de la réalité, et toute représentation est, au fond, une reproduction d’un sens social donné, présenté au spectateur comme plausible, probable ou inévitable.

La composition visuelle et la stratégie de suggestion

L’image cinématographique n’est pas un miroir, mais une construction. Ce qui apparaît dans le cadre est un choix précis de ce qui doit être vu. L’éclairage, l’angle de prise de vue, la profondeur, la distance entre la caméra et le personnage... tout cela ne relève pas simplement de considérations techniques, mais de décisions symboliques qui influencent la réception et le sens.

Un angle de vue en plongée peut affaiblir un personnage, tandis qu’une contre-plongée peut lui donner de l’autorité. Une lumière vive accentue la tension, alors que les ombres signifient quelque chose de caché ou réprimé. La composition visuelle, en son cœur, est un discours silencieux, mais puissamment efficace dans la formation des impressions du spectateur.

Dans ce cadre, on ne peut ignorer le rôle de l’« espace » dans l’image: la maison populaire, la prison, le palais, la rue... ne sont pas de simples décors, mais des symboles spatiaux chargés de significations sociales, de classes et d’identités, servant de signes de communication dirigés.

Son et musique: le second langage du film

Le son au cinéma apparaît comme un langage discret, qui s’ajoute à l’image non pour l’expliquer, mais pour l’approfondir, parfois pour la contredire ou la vider de son sens. Le silence peut être plus éloquent que les paroles, et le bruit peut porter une signification symbolique plus profonde que le dialogue.

La musique de film, elle aussi, n’est pas une simple toile de fond émotionnelle : c’est un canal d’influence directe, qui charge le spectateur d’une émotion particulière, et le prépare à une interprétation spécifique. Les transitions sonores, les coupes musicales, le rythme de la mélodie… sont autant d’outils mobilisés pour créer une communication indirecte, qui dépasse le langage parlé pour atteindre la sensation pure.

La symbolique et la condensation du sens

Un discours cinématographique réussi se distingue par sa capacité à condenser le sens dans des symboles simples : un miroir, une fenêtre, une chaussure usée, une porte fermée, un visage muet. Ces petits détails disséminés dans la scène ne sont pas anodins, ils remplissent une fonction de communication précise. Ils constituent un langage particulier que le spectateur reçoit à travers son propre système culturel, et qu’il déchiffre selon son expérience, sans qu’une signification unique ne lui soit imposée.

C’est là que réside la force du film en tant qu’outil de communication: il ne dit pas tout, mais sème des indices, laissant au spectateur le soin de les relier. Ce type d’interaction est au cœur de la théorie sémiologique, qui ne considère pas le film comme un discours simple, mais comme un réseau de significations à plusieurs niveaux, qui se renouvelle à chaque lecture.

Le spectateur: de la réception à la participation

Le spectateur n’est plus un simple observateur. À l’ère numérique, il devient un partenaire dans la production du sens. Il revoit le film, le découpe, le remixe, écrit à son sujet, le critique, crée des « mèmes » à partir de lui, le partage, le télécharge sur les plateformes... Le film dépasse ainsi son existence originale pour vivre une nouvelle vie dans la réception.

Cette transformation fait du cinéma un outil de communication sociale plus que jamais. Le message n’est plus consommé puis oublié ; il est récupéré, transformé et réutilisé dans de nouveaux conflits symboliques et culturels, prouvant que le discours cinématographique est vivant, toujours en interaction, jamais enfermé dans une seule signification.

Ainsi, on peut dire que les éléments filmiques, du scénario à la composition visuelle, du son au symbole, ne sont pas neutres, mais des vecteurs d’un discours complexe, construit dans le langage du cinéma et reçu à travers la culture de la société. Ensemble, ils ne produisent pas seulement une histoire racontée, mais un message à lire et à interpréter, ce qui fait du cinéma un média de communication dynamique, où le sensoriel rencontre la structure, et où l’esthétique s’entrelace avec le social.

Chapitre IV: Études de cas – Manifestations du cinéma comme discours de communication

Le film L’Immeuble Yacoubian: la ville comme miroir fissuré de la société

Quand on regarde L’Immeuble Yacoubian (Marwan Hamed, 2006), on ne suit pas seulement une narration linéaire, mais on reçoit un discours visuel et social sur les strates d’une ville, l’effondrement des valeurs et le conflit des visions. Le film, adapté du roman éponyme d’Alaa Al Aswany, reconstruit l’histoire dans un langage cinématographique chargé de symboles : l’immeuble lui-même devient une métaphore de l’Égypte fracturée, et les appartements incarnent les inégalités sociales, qui ne séparent plus seulement riches et pauvres, mais ceux qui détiennent le discours et ceux qui en sont exclus.

Le film utilise intelligemment les outils de communication cinématographique :

La caméra descend lentement du toit vers les étages inférieurs, là où s’entassent les couches marginalisées.

La musique s’élève quand quelqu’un chute, et s’éteint quand un autre crie sans être entendu.

Les personnages ne dialoguent pas seulement, ils portent en eux des positions idéologiques multiples : religion, sexualité, pouvoir, classe sociale, perte d’espoir.

Le cinéma devient ici un texte dialogique adressé au spectateur égyptien et arabe, posant des questions sans fournir de réponses, mais incitant à une relecture du réel et à une confrontation entre l’image perçue et celle que l’on imaginait.

Le film Parasite : discours de classe en langage symbolique universel

Dans Parasite (Bong Joon-ho, 2019), le conflit de classe devient un scénario esthétique hautement élaboré. Aucun discours explicite, aucun slogan, mais des représentations fines qui remplissent leur fonction de communication à travers la composition visuelle et la distance spatiale dans une même maison.
Les escaliers séparent riches et pauvres.

La lumière et la propreté sont réservées à l’étage supérieur.

L’odeur devient un marqueur de classe.

Le film renferme un discours symbolique qui ne nécessite pas de traduction culturelle ; c’est une communication visuelle qui dépasse la langue et pénètre profondément l’émotion du spectateur, révélant les tensions sociales camouflées derrière la politesse et l’embauche.

Au moment de l’explosion dramatique, ce n’est pas le volume sonore qui monte, mais bien la question : qui décide de qui vit en haut ? Qui a le droit de regarder ? Qui contrôle le rythme de la vie ?

Parasite est un exemple parfait d’un film qui utilise le langage cinématographique, non pas seulement pour raconter, mais pour brouiller les frontières et reposer la réalité comme une construction ouverte à la renégociation.

Le film comme message qui se dépasse lui-même

Ce qui distingue ces films -et d’autres-, c’est leur capacité à créer une communication affective indirecte avec un public varié. Le film ne donne pas de réponses, il ouvre des possibilités de lecture, et exerce sa fonction communicative par ce qu’il met en avant, ce qu’il exclut et ce qui se dit ou ne se dit pas. Les dialogues des personnages, l’arrière-plan visible derrière eux et même les silences : tout cela constitue le contenu du message et produit un effet de communication qui va au-delà des mots.

Il est important de noter que l’étude de cas n’est pas seulement un exercice critique, mais un moyen de montrer comment le cinéma passe de dispositif de projection à dispositif de communication. De L’Immeuble Yacoubian à Parasite, de Narjiss Nejjar à Bong Joon-ho, le film ne doit pas être lu comme un simple produit culturel, mais comme un discours vivant de communication, qui entre dans l’espace social et le reformule à travers l’image.

Conclusion

Le cinéma n’est pas simplement un art qui exprime ou embellit la réalité, mais, en son essence, un acte de communication complexe, qui produit du sens à travers l’image et reconfigure la conscience collective à travers ce qui est raconté, montré ou passé sous silence. Cette étude a tenté de combiner la dimension théorique et l’approche appliquée, afin de montrer comment le cinéma passe d’un moyen d’expression individuelle à un moyen de communication sociale collective, engagé dans la production de symboles, la stimulation de l’interprétation et la création de débat.

En s’appuyant sur les modèles classiques de communication de masse (Shannon & Weaver), la théorie du codage/décodage (Stuart Hall), ainsi que sur les approches sémiologiques (Christian Metz, David Bordwell), l’étude a ancré le film dans un système de communication dans lequel le spectateur n’est plus un simple récepteur passif, mais un participant, un interprète, un opposant, un reconstructeur du sens.

L’analyse appliquée de plusieurs films – arabes et internationaux – a démontré que, lorsque le cinéma aborde les inégalités sociales, les blessures de classe ou les crises identitaires, il ne transmet pas ces problématiques telles quelles, mais les recompose dans un langage symbolique sensible, utilisant le scénario, la composition visuelle, le rythme, le son et le corps comme outils pour orienter l’interaction, éveiller la réflexion et, parfois – bien que rarement – susciter une prise de conscience.

Des films comme L’Immeuble Yacoubian, Parasite ou À la marge montrent que le film cinématographique ne s’arrête pas à la projection : il se prolonge dans l’esprit des spectateurs comme un discours vivant, ouvert, sujet à négociation et à transformation. C’est dans cette prolongation que réside la force du cinéma en tant qu’outil de communication sociale : dans sa capacité à dire ce qui ne se dit pas, à interroger ce qui semble naturel, et à ébranler les évidences que nous acceptons sans en avoir conscience.

Ainsi, le cinéma n’est pas seulement un produit culturel, mais un texte de communication construit à l’intersection du beau et du politique, de l’intime et du collectif, du symbole et de l’interprétation. À une époque où les écrans se multiplient et où les discours se concurrencent, le cinéma conserve – lorsqu’il maîtrise son langage – la capacité de créer un moment de communication authentique : non imposée, mais suggérée ; non fermée, mais ouverte; non didactique, mais incitant à comprendre.

Bibliographie

Livres avec un seul auteur

Bordwell, David. 1997. On the History of Film Style. Cambridge, MA: Harvard University Press. (Bordwell 1997, 56)

McQuail, Denis. 2010. McQuail’s Mass Communication Theory. 6e éd. Londres: Sage Publications. (McQuail 2010)

Livres traduits (avec indication du traducteur)

Bazin, André. 1967. Qu’est-ce que le cinéma ? Volume 1. Traduit par Hugh Gray. Berkeley: University of California Press. (Œuvre originale publiée en français) (Bazin 1967)

Metz, Christian. 1974. Langage et cinéma. Traduit par Michael Taylor. Oxford: Oxford University Press. (Œuvre originale publiée en français) (Metz 1974)

Chapitre dans un ouvrage collectif (article dans un livre édité)

Hall, Stuart. 1980. “Encoding/Decoding.” In Culture, Media, Language, edited by Stuart Hall, Dorothy Hobson, Andrew Lowe, and Paul Willis, 128–138. London: Routledge. (Hall 1980)

Livres avec deux auteurs

Shannon, Claude E., and Warren Weaver. 1949. The Mathematical Theory of Communication. Urbana: University of Illinois Press. (Shannon and Weaver 1949)

Filmographie

L’Immeuble Yacoubian. (2006). Réalisé par Marwan Hamed. Égypte : Good News Group. DVD.
Note dans le texte : (L’Immeuble Yacoubian 2006)

Parasite. (2019). Réalisé par Bong Joon-ho. Corée du Sud : CJ Entertainment. Blu-ray.
Note dans le texte : (Parasite 2019)