Abstract
In a global context marked by the rise of digital platforms, the audiovisual landscape is undergoing profound transformation. This shift challenges public policies supporting cinema with a dual objective: integrating new technological dynamics while preserving cultural sovereignty.
This article examines to what extent audiovisual policies implemented in Morocco are able to support and strengthen national film production, in the face of increasing competition from global players such as Netflix, Amazon Prime, and YouTube.
The adopted methodology is based on the analysis of institutional sources (reports from the Moroccan Cinematographic Center, legal texts, international cultural conventions. The study highlights a significant gap between the ambitions expressed by public authorities and the realities experienced by stakeholders in Moroccan cinema.
Despite a clear political will to promote the local audiovisual sector, existing mechanisms often prove to be insufficient, inadequate, or slow to respond to digital dynamics. The limited visibility of Moroccan cinema on international platforms, the fragility of funding mechanisms, and the absence of a structured digital strategy significantly weaken the sector.
This paper proposes several avenues for improvement: more effective regulation of digital platforms, reform of support mechanisms, and the development of a proactive strategy to promote local content at both national and international levels.
Keywords: Audiovisual policy, Moroccan cinema, Digital platforms, Cultural production, Digital transformation.
Introduction
Le secteur audiovisuel connaît aujourd’hui des bouleversements majeurs sous l’effet de la transformation numérique. L’émergence des plateformes de streaming (Netflix, Amazon Prime, YouTube) a profondément modifié les modes de production, de diffusion et de consommation des contenus, posant un défi inédit aux politiques publiques en matière de régulation, de soutien à la production locale et de protection de la diversité culturelle (UNESCO, 2021).
Dans ce contexte, le Maroc a développé depuis plusieurs décennies un cadre institutionnel pour accompagner sa création cinématographique. Le Centre Cinématographique Marocain (CCM), pilier de cette politique depuis 1980, a progressivement adapté ses mécanismes de soutien, évoluant « d’un Fonds de soutien pour la promotion de la production et de l’exploitation cinématographiques » à un système plus intégré incluant aides financières et organisation de festivals ;internationaux (CCM, 2021).
Cependant, cette politique ambitieuse rencontre aujourd’hui des limites structurelles face à l’essor des plateformes numériques et à la transformation des usages. Malgré les récentes initiatives de modernisation juridique (Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, 2022), Le cinéma marocain peine à s’imposer dans cet environnement globalisé. Comme le souligne (Benchenna, 2022) « les dispositifs de soutien existants [...] apparaissent souvent inadaptés aux nouvelles logiques de distribution » imposées par les acteurs transnationaux, révélant des lacunes tant en matière de financement que de valorisation des œuvres locales.
Dès lors, comment les politiques audiovisuelles marocaines répondent-elles aux défis du numérique et parviennent-elles à soutenir efficacement la production nationale face à cette concurrence internationale ?
À travers l›analyse de documents institutionnels et d›études spécialisées, cet article propose une évaluation critique des enjeux, ambitions et contraintes des politiques sectorielles marocaines à l’ère de la révolution numérique.
1. Une ambition politique forte mais confrontée à des mutations rapides
1.1. Le cinéma comme levier de rayonnement culturel
Depuis plusieurs décennies, les autorités marocaines considèrent le cinéma comme un vecteur de diplomatie culturelle et de soft power. Le discours officiel insiste sur le rôle du cinéma dans la valorisation de l’identité plurielle du Royaume, la transmission des valeurs nationales et la promotion du dialogue interculturel. À ce titre, le Maroc a signé de nombreux accords de coproduction avec des pays africains, européens et nord-américains (Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, 2022).
Portés par une vision étatique de diplomatie culturelle (« Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, 2022 »), les festivals de cinéma marocains s’inscrivent dans une stratégie d’influence à l’échelle africaine et méditerranéenne (touzani, 2019), Toutefois, leur impact reste inégal, entre rayonnement international et faible ancrage local (CCM, 2023)
Tableau: Cinéma marocain et enjeux culturels
| Leviers culturels | Atouts / Initiatives | Défis | Exemples / Acteurs clés |
|---|---|---|---|
| Soft power & diplomatie | - Accords de coproduction (Afrique, Europe). - Festivals internationaux (FIFM, SIFF). |
- Impact inégal sur le public local. - Financements concentrés sur l’élite. |
FIFM (Marrakech), Ministère de la Culture (2022) |
| Patrimoine et identité | - Films valorisant l’histoire marocaine (Les Chevaux de Dieu, Adam). - Archives numérisées du CCM. |
- Risque de folklorisation. -Peu de diversité des récits (régions marginalisées). |
Nabil Ayouch, CCM (2023) |
| Éducation & médiation | - Héritage des ciné-clubs (années 1950–1980). - Programmes scolaires (partenariats CCM-Éducation). |
- Disparition des espaces de débat. - Jeunes publics captés par Netflix. |
Association Cinéma Guérilla, Cahier de la Recherche Africaine (2024) |
| Diversité linguistique | - Films en darija, amazigh, français. - Sous-titrage pour l’export. |
- Tensions autour de la «langue légitime». - Barrières à l’export. |
Zin Li Fik (Laila Marrakchi), The Unknown Saint (Alaa Eddine Aljem) |
| Résistance à l’uniformisation | - Cinéma d’auteur face aux standards commerciaux. - Rôle critique des documentaires. |
- Pressions des plateformes pour des formats standardisés. | Leila Kilani (Sur la Planche), Nadir Bouhmouch (Amussu) |
1.2. Le rôle central du Centre Cinématographique Marocain (CCM)
Créé en 1944 sous le protectorat et réformé en profondeur après l’indépendance, notamment à partir des années 1980, le Centre Cinématographique Marocain (CCM) est le pilier central de la politique audiovisuelle du pays. Inspiré à l’origine du modèle français du CNC, il incarne à la fois un héritage colonial dans ses structures et une volonté nationale de structurer et réguler le secteur (Cahier de la Recherche Africaine, 2024.)
Établissement public doté de l’autonomie financière, le CCM a pour mission d’encadrer la production, la diffusion et la réglementation cinématographique. Historiquement financé par des subventions d’État et des taxes sur l’exploitation, il est aujourd’hui l’organe central qui gère le Fonds d’aide à la production cinématographique. Ce fonds constitue le principal levier de la politique de soutien, finançant chaque année une vingtaine de longs-métrages, ainsi que des courts-métrages, des documentaires et des projets destinés à la télévision (CCM, 2023), Le CCM joue donc un double rôle d’héritier d’un modèle importé et d’acteur principal de l’affirmation d’un cinéma national.
1.3. La leçon des ciné-clubs
Alors que la politique audiovisuelle, incarnée par le CCM, se concentre sur le soutien à la production, l’histoire des ciné-clubs rappelle une leçon fondamentale : la vitalité d’un cinéma national dépend autant de la construction de son public que de la création de ses œuvres.
Actifs principalement des années 1950 aux années 1980, ces clubs étaient de véritables espaces d’éducation populaire. En diffusant des classiques internationaux et, progressivement, des films marocains, ils formaient un public averti, initiaient à la critique et favorisaient le débat collectif. Cette approche «par le bas», menée par la société civile, a bâti une culture cinéphile active, capable de s’approprier le cinéma comme un objet de réflexion et non seulement de consommation.
Cependant, le déclin progressif de ce mouvement, dû à des pressions politiques et des difficultés financières, a laissé un vide majeur dans le paysage culturel. La disparition de ces espaces de médiation et de débat a créé une lacune historique. C’est cette absence d’un public collectivement structuré et éduqué à l’image qui rend aujourd’hui le secteur cinématographique marocain particulièrement vulnérable. Face à l’hégémonie des plateformes numériques, la consommation solitaire guidée par des algorithmes a pris la place du débat citoyen, illustrant la pertinence toujours actuelle de la leçon oubliée des ciné-clubs. (Cahier de la Recherche Africaine, 2024.)
1.4. La télévision publique : un partenaire sous tension
Acteur central de l’écosystème audiovisuel, la télévision publique marocaine, principalement la SNRT (Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision) et 2M, entretient une relation ambivalente avec le cinéma. D’une part, elle en est un partenaire économique incontournable. Les cahiers des charges des chaînes publiques leur imposent d’investir dans la production nationale, faisant de la télévision un co-producteur et un pré-acheteur essentiel pour de nombreux films marocains, leur assurant ainsi un débouché financier vital après l’exploitation en salle (ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, 2021).
Cependant, ce partenariat est marqué par une tension structurelle. La télévision fonctionne selon une logique d’audimat de masse, particulièrement visible lors des pics de consommation comme le mois de Ramadan, où les formats calibrés (téléfilms, séries comiques) sont privilégiés. Cette exigence de rentabilité et de consensus entre souvent en conflit avec l’ambition artistique d’un cinéma d’auteur soutenu par le Fonds d’aide du CCM. Comme le souligne le chercheur Abdelkrim Ouakrim, la télévision marocaine, en quête d’audience, tend à favoriser des productions qui répondent à un cahier des charges commercial, ce qui peut mener à une certaine standardisation des contenus au détriment de l›expérimentation et de la prise de risque créatif (Ouakrim, 2017).
Aujourd’hui, cet allié ambivalent est lui-même profondément déstabilisé. Confrontée à la migration massive de l’audience, notamment des plus jeunes, vers les plateformes de streaming (YouTube, Netflix) et les réseaux sociaux, la télévision nationale perd son statut de diffuseur hégémonique. Les rapports de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) confirment cette érosion progressive de l’audience des chaînes traditionnelles (HACA, 2021.) . Cet affaiblissement fragilise par ricochet tout le secteur : il menace une source de financement cruciale pour un cinéma qui doit désormais affronter non plus seulement la concurrence interne de la télévision, mais celle, globale et bien plus puissante, des géants du numérique.
2. Des contraintes structurelles freinant la consolidation du secteur
2.1. Une visibilité internationale encore marginale
Malgré la qualité croissante de la production nationale, le cinéma marocain reste peu visible sur les grandes plateformes numériques. Loin d’être un hasard, cette absence est, comme l’analyse du Benhaddou publié dans SNRT News, le symptôme de freins structurels majeurs. En effet, les plateformes comme Netflix ne traitent que rarement avec des producteurs individuels, mais préfèrent acquérir des « packages » de films auprès de grands distributeurs internationaux. Or, les producteurs marocains, agissant de manière isolée, peinent à intégrer ces circuits de distribution globaux. Cette situation met en lumière une faiblesse stratégique : l’absence d’un interlocuteur national ou d’une structure collective capable de négocier et de valoriser le catalogue marocain auprès de ces géants du streaming (benhaddou, 2025).
Cette marginalisation sur la scène internationale est aggravée par une faiblesse interne majeure, un constat partagé par les acteurs économiques eux-mêmes. En effet, comme le souligne le Livre Blanc de la CGEM sur les industries culturelles, le Maroc souffre de l’absence d’une plateforme nationale de VOD/SVOD structurée et pérenne. Les initiatives passées ou présentes, telles que Cinémaroc ou Marocvod, correspondent à ces tentatives qui, faute de moyens, de coordination et d’un « modèle économique viable », n’ont jamais pu s’imposer comme une alternative crédible (azdim et al., 2019)
Dans ce contexte, la présence dans les grands festivals internationaux n’est plus seulement une question de prestige, mais une condition quasi-nécessaire pour espérer être repéré par un distributeur international susceptible d’ouvrir les portes des plateformes de streaming (benhaddou, 2025)
2.2. Un financement concentré et insuffisant
Le financement du cinéma marocain repose principalement sur les subventions publiques du Fonds d’aide géré par le CCM. Cependant, ce pilier essentiel montre des signes de faiblesse structurelle. Comme le souligne le critique et réalisateur Driss Chouika, « le montant alloué reste bien faible et n’a pas bougé depuis plus de deux décennies » cité par (chouika, 2024) dans quid. Cette stagnation du principal levier de financement public freine considérablement le développement du secteur et sa capacité à faire face aux nouvelles concurrences.
Le secteur privé, quant à lui, reste peu impliqué, un constat partagé par des acteurs majeurs qui appellent à une diversification des financements via des incitations fiscales et des partenariats public-privé encore trop rares (Kharroubi & Bouchrit, 2024)
Les banques, bien que soutenues par des dispositifs publics, continuent de percevoir la culture comme un secteur «risqué», limitant l’accès au crédit pour les entrepreneurs. Enfin, si des solutions alternatives comme le crowdfunding ont émergé, leur développement est freiné par des défis réglementaires liés à la pleine application de la loi 15-18 (Ouiddar, 2024).
2.3. Une régulation en retard sur les usages numériques
Le cadre juridique marocain reste marqué par une approche traditionnelle du cinéma, créant un «décalage» avec les réalités du numérique (Digital Act, 2021).
Le Dahir de 1974, même amendé, repose sur une vision analogique du secteur. La loi 70-17 sur la réorganisation du secteur cinématographique, promulguée en 2021, constitue certes une tentative de modernisation, mais elle n’aborde pas de manière approfondie les enjeux liés aux plateformes, à la monétisation des contenus ou à la protection des droits d’auteur (Kahli, 2024) un sujet dont la complexité est illustrée par la longue bataille des éditeurs de presse pour faire valoir leurs droits (LesEco, 2023).
De plus, le Maroc ne dispose pas encore de législation imposant aux plateformes étrangères un quota de contenus locaux ou une contribution financière au développement de la production nationale, contrairement à ce que préconise la Directive européenne SMA (Digital Act, 2021)
3. Une stratégie numérique encore embryonnaire
3.1. L’absence d’une vision intégrée
Un paradoxe majeur freine la transition numérique du secteur audiovisuel marocain : alors que le pays s’est doté de stratégies nationales ambitieuses pour la digitalisation, la culture en a été systématiquement écartée. Le constat, dressé par le Livre Blanc de la Fédération des Industries Culturelles et Créatives, est sans appel : il n’existe pas, à ce jour, de vision stratégique intégrée pour le numérique culturel (azdim et al., 2019).
Les grands plans nationaux, comme le «Plan Maroc Digital», ont principalement orienté les investissements et les efforts vers la modernisation de l’administration (e-gouvernement), l’amélioration des infrastructures et le développement de l’offshoring. En n’intégrant «que très peu, voire pas du tout» les industries créatives, ces stratégies ont manqué une occasion historique de structurer un écosystème numérique pour des secteurs à haute valeur ajoutée comme l’audiovisuel (azdim et al., 2019)
La conséquence directe de cet angle mort est une approche «en silos», où les initiatives restent fragmentées. La numérisation des archives du CCM, la création ponctuelle de portails pour des festivals ou les tentatives de plateformes VOD privées se développent de manière isolée, sans cadre fédérateur, sans mutualisation des moyens et sans vision commune. Cette absence de pilotage stratégique au plus haut niveau de l’État empêche la création de synergies et laisse le champ libre aux acteurs internationaux, mieux organisés et dotés de stratégies globales.
Les projets « ponctuels », comme la numérisation d’archives ou les portails de festivals, restent isolés, portés par des institutions sans coordination ni cadre global.
Ce déficit de vision commune empêche la formation d’un écosystème audiovisuel numérique structuré ; malgré un plan ambitieux de formation (100 000 talents/an), les enjeux spécifiques à la monétisation, aux plateformes locales et au développement des compétences techniques ne sont pas traités (ibriz, 2024)
3.2. Le défi de la formation et de la professionnalisation
Malgré la présence d’institutions spécialisées, la formation aux compétences numériques émergentes demeure un maillon faible de l’écosystème audiovisuel marocain. Des établissements de référence comme l’ISMAC à Rabat ou l’ÉSAV à Marrakech jouent un rôle fondamental dans la formation aux métiers classiques de la création (réalisation, image, son), comme le détaillent leurs programmes officiels. Toutefois, leur offre peine à intégrer de manière systématique les nouvelles compétences stratégiques dictées par la transformation numérique, telles que l’analyse de données, le marketing digital pour les plateformes VOD ou la gestion des droits à l’ère du streaming.
Cette lacune est aggravée par une offre de formation continue quasi-inexistante pour les professionnels déjà en activité. Le Livre Blanc de la CGEM sur les industries culturelles met en évidence cette inadéquation entre la formation et les besoins du marché» et appelle à la création de «passerelles» entre les mondes de la création, de la technologie et du commerce (azdim et al., 2019). Ces passerelles sont aujourd’hui très peu développées, entretenant une fracture entre les talents créatifs et les compétences nécessaires pour naviguer dans l’économie numérique.
Dans un contexte où les métiers du cinéma sont de plus en plus interconnectés avec les technologies, cette situation représente un obstacle majeur. Une étude phare de l’UNESCO sur l’industrie du film en Afrique souligne d›ailleurs que cette carence en formation aux outils numériques est l›un des principaux freins à l›émergence d›un secteur compétitif sur le continent, notant que de nombreux programmes de formation sont «obsolètes et inadaptés à l’ère du numérique» (UNESCO, 2021). Le Maroc, malgré la qualité de ses institutions, n’échappe pas à ce constat global.
Conclusion
En conclusion de notre analyse, le secteur audiovisuel marocain se trouve aujourd’hui à un carrefour décisif. Il est tiraillé entre, d’un côté, son histoire et une politique de soutien bien établie, et de l’autre, les bouleversements profonds de la révolution numérique. Notre article a eu pour objectif d’examiner cette situation complexe. Nous avons d’abord décrit les bases du système marocain : le rôle central du Centre Cinématographique Marocain (CCM) qui soutient la production, l’héritage important des ciné-clubs qui formaient autrefois le public, et la relation compliquée avec la télévision publique, qui est à la fois un partenaire financier et un concurrent.
Le problème est que ce système, construit au fil des décennies, n’est plus totalement adapté au monde d’aujourd’hui. Face à notre question de recherche – comment les politiques audiovisuelles marocaines répondent-elles aux défis du numérique ? – notre constat est clair : Les outils actuels, comme le Fonds d›aide du CCM, restent indispensables mais ne suffisent plus face à la puissance des plateformes comme Netflix ou YouTube, qui ont changé pour toujours la manière dont les gens regardent des films. Les contraintes que nous avons identifiées sont sérieuses : le financement public ne progresse plus, la loi est en retard sur la technologie, les films marocains sont très peu visibles sur les plateformes internationales, et la formation des professionnels n’inclut pas assez les nouvelles compétences numériques. Ces problèmes ne sont pas des détails ; ils montrent que le modèle actuel est à bout de souffle.
Si rien ne change en profondeur, le Maroc fait face à un double risque. Le premier est un risque culturel. On pourrait avoir un cinéma d’auteur de qualité, soutenu par l’État et récompensé dans les festivals, mais que le grand public marocain, et surtout les jeunes, ne regarderait plus, préférant les contenus des plateformes mondiales. Cela créerait une fracture entre le cinéma national et sa propre population. Le second risque est économique. Le cinéma marocain doit vraiment développer son propre volet numérique, sinon il laissera tout le marché aux entreprises étrangères. Celles-ci attirent le public et gagnent de l’argent sans forcément investir en retour dans l’économie ou la culture marocaines. Perdre la bataille de la diffusion numérique, c’est risquer de perdre une partie de son indépendance culturelle.
Alors, que faire ? Plutôt que de simplement constater les problèmes, notre analyse nous permet de proposer des pistes concrètes pour l’avenir. Une nouvelle stratégie pourrait s’organiser autour de quatre axes de travail principaux.
Premièrement, la régulation. Il est essentiel de moderniser la loi. Cela veut dire trouver un moyen d›obliger les plateformes étrangères comme Netflix ou Amazon Prime à participer au financement du cinéma marocain. Comme cela se fait en Europe, on pourrait leur demander de payer une taxe ou d’investir un pourcentage de leurs revenus réalisés au Maroc dans la production locale. Cela permettrait de trouver de nouvelles sources de financement et de rééquilibrer la concurrence.
Deuxièmement, la diffusion. En plus de négocier avec les plateformes étrangères, le Maroc a besoin de sa propre plateforme de streaming (VOD/SVOD). Il ne faut plus laisser ce projet à de petites initiatives privées sans moyens. Il faudrait en faire un projet national stratégique, soutenu par l›État et le secteur privé, avec un vrai budget pour se faire connaître et un catalogue riche de films et séries marocaines. Ce serait la meilleure vitrine pour la création nationale.
Troisièmement, la formation. Il est impossible de réussir la transition numérique sans les compétences nécessaires. Les écoles de cinéma marocaines doivent urgemment mettre à jour leurs programmes pour inclure des cours sur les nouveaux métiers : le marketing digital pour promouvoir un film en ligne, l’analyse des données pour comprendre ce que le public aime, ou encore le droit du numérique. Il faut aussi proposer des formations pour les professionnels qui sont déjà en activité, afin qu’ils puissent s’adapter.
Enfin, quatrièmement, l’action collective. Un producteur seul ne peut pas négocier efficacement avec un géant comme Netflix. Les professionnels marocains doivent s’unir. Il faudrait créer une sorte de «bureau d’export» ou un syndicat de producteurs qui parlerait d’une seule voix pour tout le secteur. Cette structure pourrait négocier de meilleurs contrats, vendre des «packages» de films marocains et défendre les intérêts de tous sur le marché mondial.
En conclusion, l’avenir du cinéma marocain ne se jouera plus seulement sur la qualité des films produits.
Le Maroc a déjà prouvé qu’il pouvait faire de grands films. Le défi aujourd’hui est de s’assurer que ces films soient vus par le plus grand nombre, qu’ils soient rentables et qu’ils continuent de nourrir la culture marocaine à l’ère du numérique. Pour cela, il est temps de passer d’une politique de simple soutien à la production à une véritable stratégie industrielle, moderne et offensive, pour l’ensemble du secteur audiovisuel.
Notes
1KERROUDI Mariam, Doctorante en sciences humaines, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Tétouan – mariamkerroudi.contact@gmail.com, Orcid : https://orcid.org/0009-0005-2094-1179
2RAZKAOUI Yassin, Enseignant-chercheur, Faculté des Sciences et Techniques, Tanger – y.razkaoui@uae.ac.ma, Orcid: https://orcid.org/0009-0006-4435-8989
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