Capítulo / Chapter IV | Cinema – Tecnologia / Technology

360° cinéma montage versus immersive notion: Sam Esmail and the sensory experimentation in Mr. Robot series.

Le montage du cinéma 360° versus la notion d’immersion: Sam Esmail et l’expérimentation sensorielle de la série Mr. Robot.

Manuel Siabato

ENSAV, LARA-SEPPIA, Toulouse 2 Jean Jaurès, France

Abstract

Montage will allow Cinema to find it’s identity, progressively moving away from arts from which it took root, such as oral tradition, literature or theater. It’s practice will change in time, often linked to technological innovation like television broadcasting or camera enhancement and miniaturization.
Understanding this evolution in montage when we are interested in 360° cinema innovation, makes us wonder about the meaning of the concept itself and how it seems to disappear, among the written theory and experimentation on the subject. We must acknowledge that montage as used in a standard frame Cinema it’s not viable in a highly immersive sensory environment. There are numerous reasons to explain this issue, going from troubles linked to internal hearing creating motion sickness to how difficult it becomes to attract public attention towards the zone in the film where action takes place and give sense to narrative.
In this text we will mostly focus on Sam Esmail’s work on Mr. Robot series and how he not only proposes an immersive 360° cinematic experience of the series, but he also uses 360° devices to achieve what seams to be technically impossible shots or at least very difficult to achieve in a conventional shooting way. Sam Esmail’s experimentation it’s just an example among others that makes us consider an important renewal in montage domain and storytelling.

Keywords: 360° cinema, reframing, montage, Mr. Robot, VR, XR.

Introduction

L’apparition et le développement du montage dans le cinéma ne devrait pas être imaginée comme le produit d’une volonté ou d’un plan, mais plutôt comme une évolution imprévisible souvent guidée par l’arrivée de nouvelles technologies. Bien que les raccords du montage audiovisuel s’inspirent aussi d’autres formes narratives telles que le théâtre, la littérature ou le conte, les limites technologiques des outils de capture et de visionnage seront déterminants dans leur évolution. L’apparition du son, de l’image en couleur, les changements du format de l’image comme avec le Cinémascope, ou la recherche de sensation d’immersion avec le son spatialisé et l’imagerie 3D sont quelques exemples pour mieux illustrer ce rapport.

La relation entre l’outil et ce qu’on souhaite exprimer en l’utilisant, semble aussi avoir un lien avec ce qu’a motivé sa création. Pourquoi créer une machine qui photographie le mouvement ? Le but des ingénieurs concepteurs de la caméra, des projecteurs et des supports visuels était avant tout de réussir un « réalisme intégral, une reproduction du monde à son image », comme l’explique très bien André Bazin en s’exprimant sur le mythe du cinéma total. À l’époque des premiers outils du cinéma, associer des plans les uns après les autres en créant une narrative avec des raccords était un concept difficile à saisir par sa nouveauté. Il s’agissait plutôt d’une problématique liée aux contraintes technologiques et matérielles propres aux outils. En filmant « La sortie de l’usine Lumière à Lyon », les frères Lumière ne pouvaient pas imaginer qu’ils tournaient le premier film documentaire, considéré aussi comme le premier film publicitaire pour certains historiens. Ils ont juste fait des plans qui s’enchaînent entre eux sous forme de bout à bout qui raconte la journée.

Le concept de montage a évolué considérablement dans le temps et continue d’émerveiller le public avec une expression audiovisuelle qui ne cesse de s’enrichir. Bien que rien ne semble contraindre ce renouveau dont on aimerait pouvoir l’appliquer à tout type d’audiovisuel, sa logique de plan raccord employée sur des supports hautement immersifs semble se heurter à leur nature même. Le changement rapide de point de vue propre au montage prévu pour une diffusion sur écran, rendrait l’expérience immersive très désagréable et impossible à regarder. Mais est-ce qu’on peut utiliser une sensation désagréable produite par l’audiovisuel pour enrichir et accompagner un moment important de l’histoire ?

Dans un premier temps on abordera rapidement l’évolution du concept de montage propre aux films d’action. Comment la nature de cette évolution voire le montage même, sont remis en question quand on visualise le contenu avec des dispositifs de visionnage hautement immersifs. On verra ensuite comment paradoxalement le recadrage des plans 360°, utilisés dans un audiovisuel à cadre, devient une technique courante pour l’expression audiovisuelle. Pour mieux illustrer les allez retour entre les supports, on s’intéressera au travail de Sam Esmail dans la série Mr. Robot et comment l’expérimentation des supports semble lui donner des idées pour mieux exprimer son univers. Pour conclure on pourra se demander quelles sont les limites et quel est l’avenir de cet échange alors que les dispositifs hautement immersifs ne sont qu’à ses balbutiements.

L’évolution du montage d’action

Commençons tout d’abord avec les liens qui semblent se tisser entre l’évolution de la technologie audiovisuelle et la durée des plans dans le montage. Parmi les nombreux exemples audiovisuels qui démontrent comment l’évolution de la technologie a eu un impact important dans la manière de raconter des histoires, les séquences d’action semblent un choix intéressant et adapté. Cette relation se manifeste principalement avec la multiplication des plans pour raconter une action et la réduction de leur durée. La manière de mettre en scène ou disons de monter l’action, a beaucoup changé depuis « Le vol du grand rapide » d’Edwin Stanton et Wallace McCutcheon, de la course poursuite racontée à la manière de Buster Keaton dans Sherlock Jr., de Bullitt avec Steve McQueen à celle proposée récemment avec John Wick. Les séquences d’action existent depuis les origines du cinéma. Elles ont une place importante dans la dramaturgie des films. Elles ont évolué de manière importante dans le temps, non seulement grâce à la miniaturisation du matériel de prise de vue permettant de plans avec beaucoup de mouvement, mais dans la durée des plans qui les composent aussi. Elles ont toujours cherché à être plus immersives, dans le sens de produire un sentiment de présence chez le spectateur. Aller au plus près de l’action et mieux ressentir les événements.

Dans le « Vol du grand rapide » de 1903, on apprécie l’agression du chef de gare dans son bureau à travers un cadre qui ne bouge pas. Il s’agit d’un plan d’ensemble qui permet de voir tous les participants du plan séquence. Si on essaye d’imaginer la même scène racontée avec le montage d’aujourd’hui, elle aurait été sans doute composée de plusieurs plans avec des valeurs focales différentes. Il s’agirait sûrement de plans d’insert montrant divers détails de l’action, comme un plan rapproché sur les yeux de la victime et des agresseurs, ensuite sur les armes des agresseurs pour continuer après sur un plan de caméra d’épaule pendant l’agression, en cherchant à peut-être donner plus de rythme à la scène.

Ce montage descriptif de l’action, où l’importance réside aussi dans la manière de créer une émotion par le flux important d’informations, ne semble pas adapté aux dispositifs hautement immersifs. La vitesse de changement de position dans l’espace d’une prise de vue à 360° rendrait l’expérience audiovisuelle très désagréable. Même un habitué aux dispositifs ressentirait des vertiges et un malaise, le temps que le cerveau actualise les informations que reçoit la vue avec celles de l’oreille interne. Le changement continu de plans qui ne durent que 3 ou 5 secondes ne seraient pas de grand aide pour comprendre le fil conducteur d’une narration. Des plans d’insert qui montreraient des détails importants de la narration en zoomant dessus ne feraient que perturber l’attention par le mouvement de la caméra. Imaginer un tel montage devient davantage compliqué quand il est aussi question de cacher l’équipe de tournage dans la prise de vue à 360° de chaque plan à produire.

Raconter une histoire à 360°

Le montage d’action comme on le connaît aujourd’hui, ne semble pas bien adapté à l’expérience audiovisuelle hautement immersive. Est-ce que le montage lui-même serait adapté à l’audiovisuel 360° ? Le montage qui semble convenir le mieux à l’immersion sensorielle à 360° se composerait peut-être de plans d’ensemble qui ne bougent pas, ou peu. La narration serait alors plutôt guidée par le jeu d’acteur avant que par l’image elle-même. Le centre d’attention devrait être guidé par le son sans faire pivoter le point de vue pour éviter de générer de la motion scickness. Il existe sans doute un type de montage adapté aux dispositifs d’immersion sensorielle qui s’inspire des techniques de raccord du montage à cadre, mais vu les contraintes de visionnage et de diffusion, il faudra attendre quelque temps avant de rassembler un corpus avec des exemples montrant une tendance affichée. Un montage correct de l’audiovisuel à 360°, qui répond aux besoins dramaturgiques sans rendre malade le spectateur demande encore beaucoup d’expérimentation. Comme aux débuts du cinéma, il s’agira de tester les limites du support sans oublier son essence et l’objectif principal de raconter des histoires.

Bien que l’audiovisuel hautement immersif n’est pas démocratisé, il semble éveiller la curiosité chez les créateurs de contenu. Nombreux sont les festivals de cinéma qui ont créé des catégories pour ce type d’audiovisuel, comme c’est le cas de La Mostra de Venice, Cannes, Sundance ou Tribeka. Qu’il s’agisse de créer des productions ou de trouver des idées pour des dispositifs de tournage, nombreux sont les réalisateurs de cinéma ayant testé et fait recours aux images très immersives, comme c’est le cas de Cathryn Bigelow, Alejandro Gonzalez Iñárritu ou Jan Kounen plus récemment. Ces images leur ont aussi inspiré dans la création de leurs films afin de mieux raconter leurs histoires. On peut ressentir cette envie d’immersion dans l’image dans les deux derniers films d’Iñárritu, Birdman et The Revenant dans la mesure où ils utilisent principalement des focales très courtes pour un angle de vue plus grand, montées sur des stabilisateurs de prise de vue portatif et en prévoyant de durées de plan plus grandes avec peu de coupes pour accentuer la sensation de présence. Un plan séquence unique, telle est la contrainte que s’impose Iñárritu dans Birdman et plus récemment Sam Mendes avec 1917. L’audiovisuel à 360° permet des échanges importants entre un cinéma à cadre et celui de l’expérience hautement immersive. Qu’il s’agisse de l’esthétique ou dans la manière d’utiliser l’image.

L’audiovisuel 360° adapté pour être diffusé sur un support à cadre, devient un type de plan supplémentaire qui vient enrichir l’expression audiovisuelle du montage. On parle alors du reframing ou recadrage, une technique qui donne la possibilité de choisir l’image du cadre en post-production sans perdre la qualité de visionnage finale. Pour mieux comprendre les rapports entre la taille des images prenons comme base la résolution de la Full HD, c’est-à dire 1920 x 1080 pixels ou 1K. Imaginons que la plus haute résolution qu’on trouve en salles de projection est peut-être autour de 4K, de même pour un écran plat ou la norme est plutôt le full HD, bien que des téléviseurs, 8k et 16k existent à la vente dans le marché. En partant de la prise de vue initiale, la Titan de Insta360 est la caméra professionnelle avec la résolution la plus haute permettant des images 11k et une profondeur de couleur de 10 Bit soit environ 1 milliard de couleurs. Ces spécificités permettent un grand choix dans l’éventuel emplacement et mouvement du cadre en post-production. Il est donc possible de zoomer dans l’image jusqu’à la limite 1K, si la diffusion de l’audiovisuel se fait sur une télévision. Mais s’il était question d’aller encore plus loin dans le détail de l’image, il est possible de faire son propre assemblage de caméras pour réussir une image à 360° permettant des résolutions d’image encore plus hautes que celles de la Titan, ou alors utiliser la IA pour augmenter la résolution du plan choisi, même si sa résolution est inférieure à 1K.

Astuces de tournage

En connaissant ces techniques et spécificités, il est toujours intéressant de spéculer autour de la réalisation d’un film où l’on trouve des plans qui semblent difficiles à réaliser par leur complexité technique. On peut se demander s’il s’agit de prises de vue 360° ou alors réalisées avec des angles de vue très grands allant au-delà d’un fish-eye à 180° pour être ensuite recadrées. Les exemples sont nombreux, mais semblent tous rechercher la même chose, donner une sensation de présence au spectateur, une forte immersion sensorielle grâce au point de vue subjectif qui ressemble à notre vision. Un exemple qui éveille la curiosité est la scène du détournement d’hélicoptère vers la fin de Mission Impossible Fallout, de Christopher McQuarrie, quand Ethan Hunt interprété par Tom Cruise parvient à remonter le long de la corde qui porte la cargaison de l’hélicoptère et monte sur celui-ci. Bien que la prise de vue semble avoir été réalisée avec une caméra conventionnelle, utilisant une focale peu commune et un pied piloté avec un servomoteur, on peut se demander combien de fois une cascade si dangereuse a été réalisée pour réussir un mouvement de caméra rapide qui suit convenablement la chute dans le vide du personnage. Dans un premier temps, le personnage remonte la corde de la cargaison et tombe quand il essaye de monter sur les patins atterrisseurs de l’hélicoptère. Si on regarde avec attention le mouvement, on peut aussi percevoir un côté mécanique voire numérique dans la rigidité des pivots de la caméra. Ce mouvement rigide sème un doute sur l’appareil utilisé pour la prise de vue, car il pourrait aussi s’agir d’une prise de vue faite avec une caméra 360° recadré en post-production. Le plan sous l’hélicoptère qui suit donne une meilleure idée de la vraie valeur focale utilisée. Vers la fin de la remontée de la corde, quand le personnage arrive enfin à monter sur l’hélicoptère, la focale du plan permet de voir d’un côté à l’autre des patins atterrisseurs et l’angle visuel semble aller au-delà des 180°.

Le recadrement, ou reframing est une technique qui devient courante dans l’esthétique des productions qui recherchent à montrer des points de vue considérés comme impossibles par leur difficulté de réalisation. C’était un peu le concept de 360@, une série de reportages diffusés sur France Télévisions où les deux présentateurs Jean-Sébastien Desbordes et Vincent Nguyen voyagent et présentent les images 360° d’expériences spectaculaires sous forme de recadrage en adaptant le format à la diffusion de la télévision. Plus récemment on trouve un autre exemple, plus subtil mais également mis en avant par sa production, dans la série documentaire « Méditerranée : L’odyssée pour la vie » ou des prises de vue 360° capturées depuis le dos d’un aigle en vol viennent enrichir le montage.

Documentaires et fictions utilisent aujourd’hui des images propres à la prise de vue à 360°, soit de manière subtile ou clairement affichée. Comme nous l’avons déjà évoqué, les réalisateurs qui pratiquent avec ces nouvelles images sont nombreux et l’utilisation des prises de vue réalisées est un terrain d’expérimentation vaste dont le corpus semble grossir de jour en jour. Utilisées dans leur format d’origine ou sous forme de recadrage, ces images équirectangulaires semblent proposer une immersion sensorielle nous permettant d’aller plus loin dans l’expérience narrative. Les exemples qui montrent des parallèles dans les choix de recadrage ou l’utilisation d’un format hautement immersif sont peu nombreux et bien qu’on retrouve souvent des making of et des versions du film commentées par le réalisateur, on pourra jamais savoir avec certitude les raisons dramaturgiques qui poussent à utiliser une valeur de plan plutôt qu’une autre. Parmi ces réalisateurs qui s’intéressent et qui expérimentent avec des prises de vue à 360°, il est rare d’en trouver un qui propose un même univers exploré dans différents dispositifs de visionnage. Rechercher cette particularité paraît important s’il est question de mieux comprendre les choix d’utilisation et recadrage d’une prise de vue hautement immersive. C’est le cas de Sam Esmail et de sa série Mr. Robot où l’expérimentation visuelle et sensorielle semble présente à chaque plan de la série et sous tous ses formats.

Visiter virtuellement un univers de télévision

Le travail de Sam Esmail comme réalisateur se caractérise avant tout par le choix d’une composition d’image atypique dans ses productions. Il existe un travail remarquable dans la colorimétrie et le son, qui contribuent aussi avec l’expérience audiovisuelle, mais nous serons plutôt attentifs à la composition d’image proposée dans son travail. Parfois les personnages sont positionnés vers un côté ou vers un coin du cadre. Ils font face au côté le plus proche et laissent beaucoup de vide derrière leur dos tout comme dans l’ensemble de l’image. Les plans souvent très rapprochés, semblent aussi induire plusieurs sensations avec leur décalage, mais deviennent un outil intéressant pour appuyer visuellement les instants d’importance dramaturgique propres à la narration.

Avant d’avoir réalisé la série Mr. Robot, l’expérimentation de Esmail commence avec son premier film Comet. L’utilisation du vide et le positionnement des personnages dans l’image évoquent déjà une ambiance de solitude et parfois d’oppression. Le spectateur est quelque part dérangé pour recevoir le flux narratif de l’image avec des plans où les personnages et les décors sont positionnés d’une manière peu conventionnelle. Les plans incitent à imaginer un possible hors champ, peut-être une manière de s’évader des sensations suggérées par l’étrangeté de l’histoire et des plans. Il y a un parti pris du réalisateur et un style commence à se manifester sobrement.

Par la suite l’expérimentation esthétique dans la composition d’image continue dans la série Mr. Robot où le procédé accompagne et donne plus de justesse visuelle au monde schizophrénique du protagoniste Elliot Alderson. Il s’agit d’une histoire complexe qui change de manière importante le long des 4 saisons. Une analyse approfondie et juste semble trop vaste pour être abordée dans ce document. Mais bien que nous nous intéresserons principalement aux choix esthétiques, il semble pertinent de résumer rapidement l’histoire de Mr. Robot. Il s’agit d’un anti héros hacker drogué et vigilante numérique qui fait du mieux qu’il peut pour assembler le puzzle de sa complexe vie. Sa quête de vérité, par rapport à son père et lui-même remettront constamment à l’épreuve la perception qu’il a de la réalité. Hacker de génie malgré sa schizophrénie, il se voit impliqué dans un tourbillon d’événements et révélations qui toucheront au fonctionnement même du système économique mondial.

Vers la fin de la troisième saison, le réalisateur propose un épisode de la série sous forme d’expérience audiovisuelle à 360°. Il s’amuse à explorer la diégèse qu’habite son héros en utilisant un format audiovisuel qui semble bien s’adapter tant à la complexité de l’histoire qu’à l’esthétique recherchée. Le montage se compose surtout de plans séquence longs, parfois avec des positionnements de caméra déstabilisants. On retrouve une vue en plongée sur un lit et une hallucination graphique avec des silhouettes qui dansent sur une balade pop. L’expérimentation de Sam Esmail continue alors, toujours en poussant les limites du format. Les mouvements de caméra sont aussi utilisés en véhiculant le regard du spectateur et toujours en suggérant un dédoublement du personnage. Pour mieux compléter l’immersion dans la tête de Elliot, on entend sa voix sous forme de narrateur. Bien qu’on soit dérangés par les images et que parfois on ait du mal à les explorer, nous acceptons volontiers ce que propose le réalisateur. Son adaptation est réussie, car elle est l’extension de l’ambiance atypique retrouvé dans la série.

Ponts entre formats

Bien qu’une deuxième expérimentation 360° ne s’est jamais produite, l’influence de la première est visible dans la composition d’image de la dernière saison. Un plan du huitième épisode propose une recherche qui va à la limite du format. Sous forme de panoramique en continue, comme un manège qui tourne sans fin se focalisant toujours sur les personnages, le plan-séquence transmet correctement la tension et le malaise de la situation dramatique. Pour mieux comprendre l’exemple intéressons-nous au moment de la narration pour une telle expérimentation. Dans l’épisode 408 Requested Timeout la tension est au plus haut dans l’histoire. La sœur de Elliot, Darlene et l’agent du FBI Dominique DiPierro sont retenues et torturées. Janice, une tueuse à gages de la Dark Army demande un téléphone pour donner l’ordre de tuer la mère de Dominique alors que Darlene vient juste de dévoiler où se trouve Elliot.

Ce plan-séquence d’environ une minute tel qu’il est proposé, semble être à la limite du confort de visionnage. Il ne s’agit pas de critiquer un choix esthétique, mais de constater un ressenti produit parfois par les images. Si le panoramique tournait juste un peu plus vite, il produirait sans doute des nausées sur une partie des spectateurs. Dans Mr. Robot son utilisation semble plutôt réussie. Tout d’abord par le côté atypique et peu commun, ensuite parce qu’il accompagne convenablement les moments d’importance dramaturgique. C’est un plan qui permet de garder une tension continue pendant un moment de basculement narratif, tout en donnant une forte sensation de présence au spectateur.

En regardant les images on imagine la complexité technique pour les réaliser. On se demande comment réussir une telle continuité et précision dans le mouvement, alors que la caméra pivote sur une table basse à l’intérieur d’un appartement. Les personnages sont allongés autour de la table basse du salon, rendant impraticable une éventuelle manipulation de la caméra par un opérateur. On peut aussi spéculer qu’il s’agit d’un bras collé au plafond qui porte la caméra et le cadreur, mais il est difficile d’imaginer une telle installation juste pour tourner seul un plan. D’un autre côté les mouvements de caméra semblent trop précis pour avoir été effectués sans une assistance numérique. Le côté répétitif du mouvement suggère quelque chose de mécanique ou robotique. Si on tient à croire à une prise de vue en direct, on peut imaginer un ou plusieurs techniciens qui piloteraient mécaniquement les mouvements de caméra. Pour réussir une prise de vue avec un mouvement pareil il est sans doute nécessaire d’avoir le soutien d’une machine, bien qu’on pourra jamais être certains sur les techniques utilisées.

En connaissant l’intérêt de Sam Esmail pour les expériences hautement immersives, il pourrait aussi s’agir d’un recadrage, avec un pivot numérique horizontal et vertical créé en post-production. Une caméra 360° de très haute résolution, tournerait les images du plan séquence pour être ensuite assemblées sous forme de suite d’images de la projection équirectangulaire. Il ne resterait après qu’à mettre en valeur l’endroit souhaité, sans faire un cadre d’une taille plus petite que celle du format de diffusion prévu. Si on agrandit l’image au-delà de cette limite on risque de voir les pixels de l’image tout comme les aberrations de compression. Il serait alors possible de déplacer le cadre dans cette image de très grande taille et réussir le panoramique avec beaucoup de précision dans les mouvements et dans la répétition d’un cycle. Le mouvement mécanique et précis retrouvé dans le plan serait plus facile à expliquer, s’agissant d’une manipulation numérique sur l’image. D’un point de vue logistique, le dispositif de prise de vue à 360° aurait permis une grande facilité de tournage par rapport aux contraintes propres au plan séquence tourné conventionnellement. Tourner un panoramique de plusieurs tours sans coupures alors que l’espace est restreint, que les comédiens bougent pas, que les techniciens doivent toujours rester hors champ et que toute l’équipe est très près de la caméra est possible, mais très difficile et onéreux à faire. L’utilisation de nouvelles techniques qui font appel au numérique devient une nécessité, s’il est question de trouver des nouvelles esthétiques pour enrichir le récit audiovisuel.

Conclusion

Dans un premier temps, nous avons abordé rapidement l’évolution dans le temps du montage d’action, en décrivant comment il était à ses débuts et ce qu’il est devenu aujourd’hui. Nous avons utilisé cet exemple comme une extrapolation qui permet de mieux comprendre à quel point il est difficile de monter nombreux plans qui changent rapidement dans une expérience audiovisuelle 360°. Il était aussi question de voir comment ce format inspire un intérêt et une esthétique particulière chez certains réalisateurs reconnus, les amenant jusqu’à créer des expériences 360° diffusées dans des festivals de cinéma de prestige. Ces réalisateurs utilisent les formats touchant à la haute immersion sensorielle dans son format d’origine ou en l’adaptant à l’écran et laissent imaginer que la technique du recadrage est une option viable pour certains plans difficiles à tourner. La spéculation autour des astuces utilisées dans tournage et les techniques pour réussir un plan compliqué rendent pertinent de penser que le recadrage d’images réalisées avec des caméras 360° devient plus courant et pratiqué. Il permet de réussir des plans très difficiles à tourner d’une manière conventionnelle tout en assurant une qualité d’image correcte pour la diffusion. Parmi les réalisateurs intéressés par l’audiovisuel 360°, le travail et l’expérimentation que fait Sam Esmail dans sa série Mr. Robot semble une production qui mérite d’être considérée et analysée. Une production qui rend claire la maîtrise des deux formats et une recherche esthétique qui approche leurs limites tout en permettant des ponts esthétiques entre les deux.

Sam Esmail propose avant tout une esthétique qui mélange les possibles et les limites des formats à cadre et à 360°. Son travail de recherche dans la composition d’image et d’expérimentation esthétique est riche et intéressant. L’accompagnement d’un moment de tension qu’il propose avec le plan du manège est aussi réussi que celui que propose Sergio Leone dans ses Western Spaghetti, avec les plans très serrés sur les visages des personnages. Il s’agit d’une utilisation intuitive et atypique qui prend les contraintes comme possibilités d’expression. Les prises de vue vont à la limite du confort de visionnage et permettent ainsi de créer une tension soutenue qui met en valeur la narration. Une expérimentation de ce type est source d’inspiration, car elle réussie à utiliser subtilement une sensation jugée d’inconfortable par le spectateur comme élément visuel de soutien narratif. Comme il arrive avec les infrasons souvent utilisés dans les films d’horreur et les thrillers pour générer progressivement une tension proche du malaise chez le spectateur.

On peut jamais déduire avec certitude comment un plan atypique a été tourné, et peut-être le plan cité dans ce texte n’est pas du tout un recadrage 360°, mais l’intention de proposer une immersion visuelle grâce au panoramique est une évidence. Comprendre une telle démarche comme un plan réussi, permet de poser les bases des nouvelles expérimentations avec le même procédé.

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Filmographie

Mission impossible: Fallout (2018) réalisé par Christopher McQuarrie, TC Productions, Bad Robot, Paramount Pictures, Skydance Productions.

Mr Robot. (season 4-2019)., episode 08 : 408 requested timeout, réalisé par Sam Esmail, Universal Cable Productions, Anonymous Content.