Abstract
The present paper, originating from its author’s innocent search for his identity in his twenties as a postcolonial yearning for an emotion-driven, if not unconsciously voluntary, cultural self-colonization, appears ten years later as a self-reflexive and self-critical essay. It can be read as a piece of postcolonial literature apart, or as a commentary to his documentary Ou Mun Ian, Macaenses (2009) and its textual research (2010). This quest, if not construction or invention of identity, resonated with a cross-epochal public discourse which transcended Macau’s last colonial years and its first postcolonial decade, that Macau was never a colony but a unique result from a China-West exchange. Originally to mark the tenth anniversary of the postcolonial Macau, between 2008 and 2009, the author, who was a great yet naïve admirer of the domestic exoticism and the colonial nostalgia of the mix-blood Portuguese Macanese, travelled across Portugal, Canada, US and Brazil to create a project from filmed interviews in the diaspora, in a government-sponsored adventure which let to the author’s self-discovery. This very amateur thirty-three-minute documentary largely shaped the author’s earlier belief in his undecolonizability and his later extended search and creation of his multiplying beliefs inside an Eurocentric expansion of an European universe.
Keywords: Visual anthropology, Postcoloniality, Macau, Universe, Eurocentrism.
Alles andre war Suchen,
war Umweg, war Verirrung.
Siddhartha. Eine indische Dichtung
de Hermann Hesse
En ces temps de turbulences mondiales, de luttes personnelles, et après tout, en cette période où se mélangent solitude, joies et souffrances, l’auteur (conjugué ici à la troisième personne) s’interroge sans cesse sur la légitimité de cet article. Il avait choisi d’abandonner, et d’épouser à la fois, sa postcolonialité eurocentriquement centrée. Il ambitionnait ainsi d’arrêter, et de renforcer à la fois son statut de victime dans sa production de connaissances en tant qu’ancien colonisé. Il s’agirait alors de faire abstraction de ce savoir occidental, cette pédagogie qui entretenait naïvement et à juste titre son statut de colonisé. L’auteur tentait alors de se libérer de cet enseignement afin de rester fidèle à cette multiplicité, composant la singularité de son être. Il s’efforçait d’écrire et de réécrire, d’effacer et de réeffacer ces écrits, de penser et de repenser encore et toujours la forme de cet article. Ses pensées chaotiques sont maintenant rassemblées ici, non sans une lourde épreuve émotionnelle, sous la forme d’une autocritique agrémentée d’une forte touche auto-ethnographique. Il fait état à la fois d’un documentaire réalisé il y a bien une dizaine d’années : Ou Mun Ian, Macaenses - 35 Entrevistados, 35 Identidades (2009) et de son mémoire de bachelor. Les résultats, fruits de ce travail documentariste amateur articulé autour de ces deux pièces temporellement distinctes (éloignées), font état de ces témoignages. Au risque de nous conduire à la conclusion qu’une croyance euphorique postcoloniale n’existe pas. Il n’y eut jamais rien de colonial. Donc pas de préfixe, pas de « post-, » pas de « pré- » : plus rien du tout. Ici il s’agit de la rétrospective d’un projet maintenant embaumé, emprisonné dans l’obstination de l’auteur qui délimite ainsi avec quoi il refuse de s’identifier.
Tenant compte de la complexité émotionnelle de l’auteur au moment de la rédaction, cet article vise, ou devrait-on dire, visait à être présenté sous cette forme non linéaire bien qu’intrinsèque à un milieu académique occidental. Ce choix stylistique lui-même devait encore brouiller les frontières et donc les fonctionnalités entre les genres d’écritures par la fantaisie académico-littéraire de l’auteur. En termes de contenu, il s’agissait d’évoquer un changement de croyance ou une transition entre des croyances qui ont profondément marqué l’auteur. L’auteur, héritier inconscient et auto-proclamé de ce discours colonialiste, alors que cette colonialité lui était inconnue, exprime en retour son aversion à ce post-colonialisme, trop critique d’un monde académique eurocentrique bien planifié, ce contenu est une réponse influencée encore une fois par ce rapport aux colonialismes impérieux. L’universalisation eurocentrique du système européen et les intérêts de l’auteur depuis longtemps centrés sur le régionalisme, m’ont amenés à légitimer un tel récit. Inspiré par un centrisme dualiste (universalisation v/s régionalisme), lui même très inspiré par une expansion universaliste de la culture européenne et soutenu par une concentration régionaliste en Asie de l’Est. Etre, à la fois réductible et extensible géographiquement, historiquement et surtout, émotionnellement. Ses côtés universalistes et régionalistes servent ici un but, la ré-ethnographie en offrant une nouvelle interprétation d’Ou Mun Ian, Macaenses. Ce passé donc, ces émotions archivées, qui étaient autrefois les connaissances produites il y a onze ans, doivent maintenant être recyclées.
L’objectif de ce choix stylistique, fût ici, d’intriguerune balance entre les deux intérêts universaliste et régionaliste, intérêts qui ne sont pas toujours contradictoires. Le documentaire fût depuis longtemps déclaré obsolète et fait l’objet aujourd’hui d’interprétation pour un univers de style européen. L’objectif fût aussi de profiter au maximum d’un morceaux de terre, que l’auteur nome encore “la maison”, afin de susciter une réflexion auto-critique. Ce faisant, l’auteur dut tout d’abord justifier sa position de sujet conditionné entièrement par l’eurocentrisme. A partir du moment où cette condition eurocentrique ne dépassât pas trop son propre univers, à condition que le pluricentrisme ait été préconisé par cette condition de pluricentrisme, et sous une période bien précise. Les sociétés post-coloniales sont l’expression d’un héritage colonial au service de leurs propres intérêts, seulement les discours varient. Le fait que ce morceau de terre in-dé-colonisable qu’est Macao, se soit réapproprié un discours colonialiste comme le sien par rapport au discours publique postcolonial actuel. Le fait d’observer que Macao-ne-fût-jamais-une-vraie-colonie n’est pas quelque chose très originale. Ce qui est intéressant ici réside dans la manière dont un groupe comme celui des macanais eurasiatiques de-sang-mêlé (métissés) - donc anciens passeurs idéologiques entre les colonisateurs et les colonisés, et bénéficiant des mêmes passe-droits que l’élite coloniale - vit et voit son identité. Ou plutôt peut-on dire que leur identité a changé au cours de l’histoire. La Chine communiste in-dé-colonisa Macao au même moment où le Portugal dé-colonisa ce territoire. En profitant de ce tout petite morceau de terre, les deux pays voulaient simultanément rassurer un parallélisme perpétué par la gloire de deux nations impériales.
Macao est situé à la bordure de ces deux empires. L’un fût une puissance maritime coloniale et l’autre, toujours en expansion, est aujourd’hui la deuxième force économique mondiale. Macao, selon l’humble opinion de l’auteur, mérite une plus large discussion académique en dehors de la sphère intellectuelle sino-lusophone - ça veux dire son propre univers - , car il sert bien une cause, à savoir, comment une ancienne colonie et un des territoires les plus riches du monde existant comme terre de deals à long terme entre un pays asiatique et un état membre de l’Union européenne qui conçoit une identité postcoloniale sur ce minuscule territoire. A savoir, comment ces relations triangulaires constituent un exemple qui se différencie de beaucoup des autres cas postcoloniaux. Ici, le terme « colonie » est une manière conventionnelle, toutefois assez banale, de décrire comment Macao fût un « territoire chinois sous administration portugaise » ré-administré par la République populaire de Chine, malgré son auto-gouvernance. Comme le nationalisme et le patriotisme furent des idées suprêmes, il fut impossible pour Macao de créer les siennes. A la place Macao adopta un discours d’unicité comme argument d’existence dans un projet à la dernière minute d’une « douce colonisation » du côte portugais, et cette « unicité » est devenue aujourd’hui une croyance parmi beaucoup d’intellectuels macanais, surtout chez le peu de macanais bilingues. Un des projets urgents à perpétualiser attentivement fût l’influence de l’empire colonial avant sa fin en 1999, en marge de la majorité macanaise, dont la langue était le cantonais, fût justement reconnu formellement et organisa des assemblages triennaux pour les associations des macanais eurasiatiques à l’étranger (et aussi celle au Portugal). Il s’agit d’un groupe ethnico-culturels métissé depuis longtemps et qui s’identifie exclusivement comme « macanais » en portugais et en anglais – Cette communauté est encore reconnue officiellement à Macao, excluant ainsi la majorité cantonophone de cette appellation.
Dans le film, presque tous les invités furent directement membres de ces associations - Portugal (été 2008), Canada, États unis (de décembre 2008 à janvier 2009), Brésil (de août 2009 mais cette partie ne fût pas intégrée dans le documentaire) - dont les voyages furent financés par l’Instituto Internacional de Macau, un organisme macanais présidé par un des anciens secrétaires adjoints de l’administration portugaise de Macao jusqu’à 1999, par l’administration de Macao, par la Banco Nacional Ultramarin (héritage colonial à Macao), par la Fundação Oriente (fondation portugaise instituée au temps colonial avec des revenus fiscaux sur les jeux de Macao). D’ailleurs, ces voyages furent aussi aidés à plusieurs niveaux par diverses associations et personnalités. En 2010, quand le film dut être présenté, à treize villes portugaises, l’auteur reçut un appel téléphonique d’un haut officier postcolonial de la culture qui critiqua le film. Il estimait qu’il y avait trop d’interviews de personnes d’origine eurasiatique et trop peu de macanais d’origine chinoise. Il est vrai que les invités macanais eurasiatiques sont nombreux dans le film, mais l’auteur lui-même fût surpris d’avoir découvert dix ans plus tard comment il fût politiquement correct et prudent conformément au discours public macanais de « l’exchange entre la Chine et l’Occident » d’alors. Dans ce documentaire (durée - 33 minutes), il y cinq minutes de vox-off omniprésente comme celle d’un dieu qui tout expliqua, entrecoupé toutes les deux fois dix minutes par les interviews parlés respectivement en langues cantonaise et portugaise. Suivie d’encore cinq minutes d’interviews en anglais. A Castelo Branco en 2010, une spectatrice portugaise remarqua précisément que presque tous les invités du film résidaient à l’étranger : Ceci ne fût pas juste suite à un Wanderlust d’un jeune cœur voyageur, mais le plus important fût le fait qu’une nostalgie coloniale attirait fortement l’auteur et qu’il voyait là son « risque de disparition » ou au moins « de diminution » parmi ses concitoyens macanais.
De cette formation à cette croyance identitaire, fabriquée inconsciemment par l’auteur lors de la production de ce film, il est aujourd’hui admis qu’elle fut largement motivée par les émotions, ainsi qu’elle fût naïve et innocente. C’est ainsi que le discours de Macao-est-unique a encore un fort impact aujourd’hui sur la formation de l’identité postcoloniale de l’auteur. Identité où la postcolonialité n’est plus qu’un marqueur temporel car pour lui, il y eut une continuité linéaire d’histoire dans cette identité. Etudiant dont les cours universitaires sont dispensés en portugais et producteur de film amateur, l’auteur a très rapidement partager un sentiment de sympathie avec les macanais eurasiatiques et partagea - et partage encore - beaucoup d’affects au sujet du passé colonial que l’auteur imaginait comme une histoire linéaire et continue, inventant la nostalgie d’un passé éternel. Cet exotisme domestiqué comme ancienne fascination est élargie au contexte d’une construction d’identité régionale axée sur le model du patriotisme chinois après 1999 conçut largement la genèse de cette nostalgisation. Même si en termes de temps, il y avait des différences générationnelles, le partage géographique, territorial, fût le support affectif entre l’auteur et les invités du film. Ce sentiment de nostalgie coloniale fut mis en exergue par le fait que les invités résidaient à l’étranger, à l’extérieur de Macao. La nostalgisation d’un tel vécu (passé, présent et futur) la croyance de l’auteur pour ces dogmes et l’enjeu que les relations triangulaires (mentionné plus haut, entre l’ancien colonisateur, le reunificateur et l’ancien colonisé ou réunifié) aujourd’hui sur ce richissime petit morceau de terre maximise le sentiment d’ambiguité entre tout ce que pourrait impliquer ces données. Macao reste pourtant un thème encore obscur pour le régionalisme dans un universalisme eurocentrique en expansion.
L’auteur allégua que le documentaire ne fût jamais fini en plus de dix ans et qu’il était maintenant dépassé. En se tournant vers un tel projet et en le jugeant ainsi, c’est à dire par la perspective de l’anthropologie visuelle, l’auteur se trouva indécis face à ce dilemme : épouser ou rejeter l’idée de frontière, des frontières ici politiques et physiques. Les affections, dues au fait de prolonger une telle nostalgie (à partir d’un passé colonial imaginaire, traversant un présent géographiquement distant, jusqu’à un futur inconnu) – (Macao est constitutionnellement auto-gouverné jusqu’à 2049 et donc encore trois décennies à matérialiser une nostalgie à l’avenir de l’auteur) -, ces affections-là furent les seuls arguments que l’auteur porta quand il parla de Macao ici : Pour justifier cette nostalgisation, l’auteur politise fortement son imagination par rapport à ce qui constitua Macao comme un “chez lui,” le passé s’est passé, le présent se passe, le futur se passera. Le documentaire et une grande quantité de séquences inédites sont aujourd’hui historicisés, les émotions non-présentées venant de l’intérieur du film, et sa présentation textuelle informative sont quelques choses que l’auteur ne tenterait plus de classifier comme nostalgie coloniale. Puisque la postcolonialité dans les humbles pensées de l’auteur a aujourd’hui perdue tout son sens, surtout quand il sembla à l’auteur que le simple fait de parler d’un certain colonialisme ou d’une certaine postcolonialité est trop euro-centré dans la pensée eurocentrique, trop soutenues par les critiques qui se classifient non-européennes et non-eurocentriques. Ici l’auteur aspira non seulement à voir comment les intellectuels en dehors et en dedans du système, mais surtout ce qui se situe entre les deux, quelle autre vision pourraient offrir de nouvelles manières d’interprétations par rapport aux interprétations actuelles de l’auteur.
Une très brève note à titre de conclusion
En permanence à la recherche des nouvelles croyances, l’auteur se rendit compte qu’il épousa depuis trop longtemps l’imposition « d’un entendement toujours meilleur » de son propre univers. Autant cette « auto-colonisation volontaire » de l’auteur à prouver d’une perspective de l’anthropologie visuelle avec ce documentaire comme témoin, que sa prise de conscience de son auto-victimisation comme manière de créer la réalité postcoloniale, tous les deux sans conscience ne sont rien plus des marques dans la vie de l’auteur qu’il eut le plaisir intellectuel de consommer. Aujourd’hui, quand il regarde comment la liberté d’expression ou l’état de droit, ses valeurs occidentales, sont encore au moins constitutionnellement garanties dans cette époque postcoloniale et laissés par les anciens colonisateurs aussi comme héritage colonial - dans un tel langage à catégoriser des choses -, donc ce que le mot « colonie » pourrait typiquement signifier sembla avoir perdu son sens. Aujourd’hui l’auteur souhaite ne plus suivre ni une ni autre croyance ou suivre toutes les deux au même temps en cherchant et adaptant des plus de croyable croyances possibles. Une auto-critique en tant que doctorant en anthropologie visuelle dans une université allemande emmena l’auteur à voir comment la discussion sur la colonialisme et postcolonialité furent eux-même coupables du péché de créer un centrisme dualiste entre un ou plusieurs mondes occidentaux et des mondes “non-occidentaux,” ce qui, continue ainsi et contribuera seulement a agir pour une unification intellectuelle mondiale centrée et dirigée par les idées d’origine européenne, donc tout en replaçant une unification intellectuelle mondiale pluricentriste, que l’auteur ici revendiqua. Cette unification intellectuelle du monde, ne sera pas accomplie nécessairement à la fin comme la tendance qu’on peut voir, centré aux valeurs européens, ou ne sera peut-être même accomplie. Mais si cette unification sera inévitable, c’est à nous qui déciderions comment elle serait accomplie. Voilà une reflection qui marqua la fin d’une croyance en anthropologie visuelle, inspirée par une observation visuellement anthropologique sur une ancienne croyance colonialiste, dans un documentaire défunt.
L’auteur souhaite exprimer sa gratitude envers Mmes Claire Bouthier et Mathilde Denison. Mme Bouthier n’a pas ménagé ses efforts pour aider l’auteur à reformuler l’article en français. Mme Denison, sinologue et artiste, a quant à elle offert des conseils judicieux grâce auxquels l’article a été entièrement réécrit. En dépit de difficultés relationnelles dans notre couple, elle a néanmoins été d’une grande aide et c’est grâce à elle que l’auteur a pu éliminer tous les détails auto-ethnographiques jugés inutiles. Des remerciements sont également adressés à Mme Alicia Duquesne et tous les amis qui ont contribué à la relecture de cet article, bien que l’auteur en assume seul la responsabilité auctoriale. En annexe, et afin de fournir une clé de compréhension importante pour cet article, se trouve un extrait du travail textuel non publié dans sa version de 2013, actuellement traduit en français et intégré au présent essai.
Observation sur la version de 2013
Ce travail se base sur la version textuelle du documentaire Ou Mun Ian, Macaenses, partiellement intégré dans un projet de recherche mené en mai 2010 dans le cadre de mon bachelor. Ce documentaire a été présenté publiquement pour la première fois dans l’auditoire du Bureau de représentation économique et commerciale de Macao à Lisbonne en septembre 2009. Exactement un an après, le documentaire a également été présenté dans treize villes portugaises, après qu’une nouvelle conclusion sur le thème du documentaire fût formulée dans ce mémoire de bachelor.
J’ai laissé ce projet de côté depuis lors. Malgré cela le sujet qu’il traite reste très présent et actuel dans ma vie quotidienne en tant que personne née et élevée à Macao. Il est pour moi intéressant de constater comment mes professeurs de français interprètent différemment le terme « macanais » en français, en fonction des groupes d’étudiants où on trouvait des macanais luso-asiatiques ou pas. (Ces macanais luso-asiatiques sont connu en cantonais comme des « portugais nés sur le sol, » littéralement et exclusivement « macanais » en anglais et en portugais, en même temps que les autres habitants de Macao ne pouvaient que s’appeler les « gens de Macao ».) Cela me fait m’interroger sur la compréhension du terme par les japonais et les coréens, étant donné qu’il existe dans leurs langues respectives le mot Macao qui provient étymologiquement du portugais au lieu du chinois [cantonais].
Mme. Beatriz Basto da Silva a mis en avant lors d’une section publique à l’Université de Coïmbra (2010) durant laquelle mon film fut présenté à quel point la pratique des gens de Goa - qui s’identifient eux-mêmes de manière différente en fonction du langage utilisé - pouvait nous permettre de mieux comprendre l’enjeu de l’appellation des gens de Macao dans les langues différents. En effet, on aura un meilleur aperçu de cette question si l’on peut faire des comparaisons du même genre à travers le monde.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai appris le mot « Macanese » en anglais alors que j’étais élève à l’école primaire catholique en langue chinoise [cantonaise] dans les années 90 (une « école blanche » en contraste avec une « école rouge » qui constituait leur équivalent dans le Macao d’après guerre). Je me rappelle de la professeure nous expliquant que le mot signifiait «Ow-moun ya’n 澳門人« (ce qui pourrait être traduit du cantonais, la langue parlée majoritairement dans la ville - par « gens de Macao »). Quelques années plus tard j’ai changé d’école justement pour aller dans une « école rouge. » C’est là bas que j’ai découvert que l’Associação dos Macaenses qui se trouvait tout près de l’école dans la Rua do Campo (水坑尾) avait également un nom chinois: « 澳門土生協會 », qui signifie littéralement « l’Association des natifs-sur-sol. »
L’idée que les « macanais » sont ce que le cantonais appelle des « T’ow sang p’ow ya’n 土生葡人 » (littéralement « les portugais natifs-sur-sol ») mais pas les « Ow-moun ya’n », qui englobe tous les habitants de Macao, fut soulignée dans les cours de mes deux premières années de bachelor en études portugaises, un bachelor conceptualisé pour les débutants sinophones comme langue maternelle et principalement enseigné par les professeurs portugais. En 2007 et 2008 j’ai été sélectionné pour aller étudier à Coïmbra avec une bourse de la Fundação Oriente. C’était pour moi la toute première fois que j’étudiais à l’étranger et je me rappelle combien j’ai été affecté par les similarités ainsi que les différences entre le Portugal et Macao, à tel point que ce fut pour moi le début d’un voyage à la quête d’une réponse à cette question qui ne m’a plus quittée depuis : Qu’est-ce que c’est d’être un « Ow-moun ya’n » aujourd’hui ?
Le contenu du présent essai de 2010, sauf sa nouvelle conclusion tirée deux ans plus tard, reste en gros le même que celui de sa toute première version: je voudrais conserver ce que je pensais en ce temps-là. La version précédente, présentée à l’Instituto Internacional de Macau quand elle reçut une mention dans le cadre du Prémio Jovem Investigador (Prix Jeune Chercheur) le 20 Novembre, fut la même que la copie déposée au Département de portugais de l’Université de Macao.
Introduction
Être de Macao est sentir Macao, sentir ça veut dire… ce qui… il y a quelque chose dans notre cœur. Voilà ça c’est « sentir ».
Henrique Rodrigues de Senna Fernandes, 2007
Le présent travail aborde la question de savoir ce qu’est être un « Ow-moun ya’n », une question à poser quand ce terme est interprété dans les circonstances différentes ou traduit dans une autre langue. Dans le cadre de ce projet et pour répondre à cette question, des interviews furent menées autant à Macao que dans sa « diaspora ».
Aujourd’hui, le terme « gens de Macao » fait référence, en chinois, et ce dans la majeur partie des cas, aux habitants de Macao, et ce même si dans certains cas il indique également les personnes nées sur le territoire de Macao. Dans le créole macanais-portugais, ainsi qu’en portugais, le terme « macanais » désigne par contre strictement la communauté de portugais de sang mêlé à Macao. À la suite de la colonisation effective de Macao au milieu du 19ème siècle, il y avait plus en plus de portugais venant de la métropole portugaise et leur descendants enracinés à Macao considérés comme « macanais. »
Macao est la deuxième Région administrative spéciale de la République populaire de Chine établie en 1999. Il existe à Macao une nouvelle définition officielle du terme « gens de Macao ». Ce que l’on pourrait appeler une « nouvelle identité » de ces « gens » a également été construite depuis une dizaine d’années.
Néanmoins, le terme « macanais » en portugais ou en cantonais continue de faire référence à différents groupes de gens et contient des connotations culturelles différentes. Cette différence dans les interprétations du terme est probablement due aux différentes interprétations dont il a fait l’objet dans le passé ainsi qu’au manque de connaissances linguistiques parmi différents groupes des « macanais. » Quoiqu’il en soit, les « gens de Macao » ont toujours été dans une démarche de protection de leur identité en ce qu’elle serait exclusive. Ils ont de plus au long de l’histoire toujours défendu leur intérêts, et ce même quand ces différents groupes-là se sont formés tout en absorbant des immigrants et les autres cultures. Comprendre plus précisément comment les « gens de Macao » ont été défini au fil du temps contribue finalement à la compréhension de l’histoire de Macao et de sa culture.
Dans sa première partie, ce travail tentera d’analyser les formations et constructions de ces identités macanaises et présentera pour ce faire quelques aspects plus généraux de la ville de Macao ainsi que l’étymologie historique des termes « Ow-moun ya’n » et « macanais. » La deuxième partie de ce travail tentera d’expliquer les raisons pour lesquelles différentes interprétations de ces identités macanaises ont vu le jour et analysera pour ce faire une série de cas rendant compte des chinois natifs de Macao et les portugais de Macao. La troisième partie constitue la conclusion du travail.
Dans ce travail, nous utiliserons les expressions cantonaises ainsi que les noms propres soit selon leur propre transcription s’ils sont connus, soit en suivant le « Syllabaire codifiée de romanisation du cantonais » du gouvernement de Macao dans les cas d’incertitudes. La transcription des autres termes en chinois se fera en adoptant l’utilisation du système conventionnel Hanyu pinyin (les caractères chinois dans leur forme traditionnelle seront également mentionnés). C’est dans un but d’objectivité que l’auteur a décidé de faire l’utilisation du terme « portuguais natifs-sur-sol/macanais » pour désigner les portugais de Macao de sang mêlé.
[…]
Conclusion
Avec ce travail, j’ai essayé de mettre en avant, au-travers d’une analyse ethnologique du terme « macanais » dans différentes langues, les différences et les paradoxes dans les interprétations de l’identité des « Ow-moun ya’n ».
Macao se déclare être une ville bilingue. En effet le chinois [le cantonais] et le portugais se trouvent être les deux langues officielles administratives de la ville. Il y a de cela plusieurs siècles, les locuteurs de ces deux langues ne pouvaient, sauf exceptions, pas se comprendre l’un l’autre. Et c’est justement de cela que les « T’ow sang » - aussi appelés «les fils du sol« en portugais ont profité. En effet, le fait qu’ils connaissaient les deux langues leur a permis d’occuper des postes très influents et déterminants avant que le gouvernement de Macao en tant que Région administrative spéciale ne soit mis en place. Aujourd’hui, Macao est dans les faits majoritairement dirigé par ses résidents d’origine chinoise et agit en quelques sortes comme une société unilingue. L’expérience que ma propre personne a vécue pendant mes études portugaises à Macao et au Portugal ont servi comme une base de compréhension du thème de ce travail.
Les termes « Ow-moun ya’n » ou « macanais » existent depuis que le territoire de Macao fût nommé par le nom qu’il porte encore aujourd’hui: « Ow-moun » en cantonais, « Macao » dans les langues européennes. Lors de deux des présentations de mon documentaire Ou Mun Ian, Macaenses au Portugal à Leiria et à Lisbonne, l’anthropologue portugaise Ana Maria Amaro a fait un commentaire sur la question, qui pourrait être compris simplement comme une question de linguistique/traduction des toponymes.
Selon moi, on retrouve trois étapes principales dans l’évolution de l’identité des « gens de Macao », et cela bien que l’on ne puisse pas vraiment dire qu’il existe un lien de cause à effet entre ces trois étapes. Un groupe de sang-mêlé luso-asiatiques tout d’abord a progressivement commencé à se former depuis le 16ème siècle une identité en tant que « gens de Macao » basée sur les liens de sang. Politiquement leur autonomie était à l’époque reconnue par l’empire chinois des Ming et il se distinguait des portugais du Portugal ou d’une autre de leurs colonies. Au milieu du XIXe siècle, la couronne portugaise implanta son régime colonial sur le reste du territoire de Macao alors occupé par la force - alors que la « ville chrétienne » était avant une sorte d’enclave accordée par et dans l’empire chinois - et un nationalisme portugais parmi les luso-asiatiques s’est consolidé au long de l’histoire coloniale. L’identité portugaise des « macanais » a évolué depuis lors et ce jusqu’au dernier siècle où elle représentait la classe éduquée dans les écoles portugaises à Macao et qui s’identifiait elle-même comme étant de nationalité portugaise. Dans cette classe se sont retrouvés inclus les luso-asiatiques, les portugais de la métropole, les chinois tout en adoptant l’identité portugaise, les « nouveau » luso-asiatiques enfants de portugais qui arrivaient « plus tard, » et les autres lusophones venant des autres parties de l’empire colonial portugais, pour lesquels la connaissance de la langue portugaise constituait un énorme avantage au sein de l’administration portugaise. Finalement, après 1999, lorsque Macao cessa d’être un territoire de l’administration portugaise, en raison du progrès économique de Chine et les besoins politique du gouvernement depuis la fondation de la Région administrative spéciale de Macao, une nouvelle identité a été créée pour les « gens de Macao », et cette fois-ci dans le contexte linguistique du cantonais. Culturellement, cette nouvelle identité a tendance à faire davantage référence aux habitants d’origine chinoise ainsi qu’aux luso-asiatiques « sinisés » qui s’identifient eux-même comme « Ow-moun ya’n ».
Ces trois « sortes » de « gens de Macao » que l’on retrouve au cours des trois époques précitées ont entre eux une caractéristique commune : ils ont toujours été - et sont encore - très préoccupés par leur propre protection ainsi que par la sauvegarde de leur exclusivité identitaire. Ce besoin d’auto-conservation peut sembler quelque peu paradoxal quand on pense au fait que les « Ow-moun ya’n » ne sont en quelque sorte que le résultat d’un processus d’absorption d’éléments d’autres cultures. C’est la raison pour laquelle leur identité, dans une certaine mesure, pourrait être vue comme une identité fortement liée à leurs intérêts.