Concepts and realities of 360° cinema.

Concepts et réalités du cinéma 360°

Manuel Siabato

ENSAV, LARA-SEPPIA, Toulouse 2 Jean Jaurès, France

Abstract

Although creating and displaying 360° environment animated images can be dated to the origins of cinema, audiovisual industry in the broadest sense of the term, has never been as interested by it as today. With or without headphones, the main problem with such media is no longer reception, distribution or production, but perhaps an adapted content. Creators have new constraints imposed by 360 such as, frame pseudo-liberation, managing to focus spectator attention on the central narrative or filming and hiding a crew when filming with a total point of view.
In this paper we will explore some of these challenges. Firstly, we will try to understand narrative mechanisms and technological constraints of 360° medium analysing a few selected productions. Secondly, we will present some personal work where issues related to writing, aesthetics, production, post-production and distribution will be explained.
To conclude, is important to explain why 360° audiovisual does not offer a real formal innovation but rather invites us to rediscover cinema and its concepts.

Keywords: 360° cinema, 360° film, 360° video, VR, Extended realities.

1- Changement et fascination technologique

Depuis ses origines, le cinéma semble se réinventer à chaque nouvelle production. Il ne s’agit pas seulement d’une remise en question autour de sa pertinence, de sa place dans la société ou de ses formes d’expression, mais des innovations techniques propres à sa spécificité audiovisuelle.

Pour développer un peu cette pensée essayons une comparaison rapide avec la peinture. Les mouvements artistiques en peinture naissent souvent comme une révolte face au mouvement les précédant. On peut alors voir l’impressionnisme comme une réponse aux spécificités du réalisme, car il remet en question des principes qui le définissent. En se focalisant sur le traitement de lumière et de ses effets et contrairement au réalisme qui met en avant des idées engagées dans ses sujets1, l’impressionnisme apparaît en marge de l’académie qui lui refuse l’entrée aux salons officiels2.

Dans le domaine du cinéma, on peut trouver des exemples semblables avec la nouvelle vague en France, qui a pour but de remettre en question un cinéma trop académique où les dialogues propres et la course à l’esthétisme dans l’image s’éloignent trop de la réalité. On peut penser à François Truffaut et son film Les 400 coups, considéré comme un des premiers films manifestes du mouvement et qui raconte une histoire intimiste et autobiographique, tournée en grande partie en extérieurs.

Ces deux exemples, du cinéma et de la peinture, illustrent sommairement comment l’art évolue dans le temps grâce à la révolte menée par l’anticonformisme des nouvelles générations. Seulement, il faut préciser que ces changements n’auraient pas eu lieu sans des innovations technologiques importantes.

Dans le cas de la peinture, l’impressionnisme a été possible grâce notamment à l’apparition du tube à peinture souple. Pouvant se déplacer, le peintre s’affranchit de l’atelier et s’intéresse principalement à la compréhension de la lumière dans son fonctionnement physique et sur la façon dont il peut la représenter. Quant à la nouvelle vague3, c’est aussi grâce à l’apparition des caméras d’épaule portables comme la Caméflex Éclair et à la réduction considérable dans les prix de développement d’une pellicule plus sensible à la lumière, que ce mouvement réussi une nouvelle proposition esthétique.

De nos jours, les technologies en lien avec l’audiovisuel ouvrent des nombreuses pistes qui méritent notre attention. Parmi elles, la vidéo 360° est un sujet innovant qui motive une recherche tant théorique que technique. Sa spécificité propose des nouvelles approches à la narration audiovisuelle, tout comme à son écriture et à sa diffusion.

Sans prétendre associer la vidéo 360° à un nouveau mouvement artistique, notre approche proposera dans un premier temps un historique et une description du concept, des dispositifs de prise de vue et de diffusion tout comme de ses contraintes et de ses possibilités.

En deuxième partie, il semble pertinent d’analyser un corpus d’objets audiovisuels 360° en essayant de comprendre comment les réalisateurs ont résolu les problématiques propres à la technologie tout en développant une esthétique propre. Parmi ces créations on citera une production originale.

Ce développement nous permettra de proposer une vision du dispositif qui s’éloigne de la simple fascination que peut susciter une technologie. Existe-t-il une vraie innovation formelle dans le dispositif ou peut-on parler de procédés, propres à la narration audiovisuelle, à redécouvrir?

2- Description du dispositif.

2-1 Évolution

Les nouvelles technologies comme les casques de réalité virtuelle, permettent une immersion sensorielle importante et sont à la pointe de la technologie audiovisuelle. Mais il faudrait pas associer la nouveauté du concept immersif à 360° avec l’apparition d’une technologie, car il n’est pas récent. On trouve des exemples d’expérimentation en recherche sensorielle d’immersion dans la peinture, la photographie et le cinéma, qui mettent en évidence la volonté de reproduire l’image de notre environnement.

2-1-1 La peinture

Dans la peinture, la volonté de reproduire la réalité telle qu’on l’habite a toujours été présente. Par cette idée on entend bien la possibilité de diriger le regard en tournant sa tête afin d’apprécier l’ensemble de son environnement. L’apparition du concept de cadre et le lent développement des principes de la perspective4 semblent avoir ralenti l’évolution vers la notion d’une image qui englobe complètement le spectateur. Il paraît étonnant de considérer Robert Barker comme l’inventeur de la peinture panoramique dont il dépose le brevet en 1787 alors que des traces de cette technique sont présentes bien avant son brevet. Les fresques des grottes préhistoriques, les peintures murales de Pompéi, la tapisserie de Bayeux ou les transparents de Carmontelle ne sont que quelques exemples attestant cette ancienneté.

La rotonde imaginée par Barker permettait d’accueillir des peintures circulaires et plaçait le public au centre du dispositif. Le panoramique de Londres en 1792 figure parmi les expositions qui ont connu le plus grand succès à l’époque. Par la suite, d’autres dispositifs comme le Cosmorama de l’abbé piémontais Gazzera en 1808 et les Myrioramas, des cartes illustrées permettant de composer des panoramiques, ont aussi démocratisé le concept d’image d’environnement.

Dans le cadre de la peinture panoramique, on ne peut oublier le Cyclorama utilisé pour les décors de théâtre et ainsi que le Diorama, tous les deux inventés par Jacques Daguerre. Le Diorama devint une attraction à part entière et connut un succès populaire dès sa sortie en 1822 jusqu’à 1880. Pour mieux comprendre ce dispositif, il faut imaginer que le public est assis sur grande plateforme tournant sur elle-même. En pivotant, le public change de point de vue entre deux décors disposés à environ 90° l’un de l’autre.

2-1-2 La photographie

C’est grâce à l’invention du daguerréotype qu’on trouve les premiers essais de panoramique photographié. Le brevet de l’invention fut achetée par l’État français pour permettre l’usage public. Ses inventeurs, Jacques Daguerre, Nicéphore et Isidore Niépce ont reçu aussi une pension à vie comme partie de la transaction. Bien que ce fait puisse sembler anodin, on peut dire que grâce au partage libre de la connaissance, le daguerréotype a pu se démocratiser rapidement pour devenir par la suite la base de la photographie moderne.

En ce qui concerne la photographie panoramique, on doit penser d’abord à Friedrich von Marteens qui conçut un daguerréotype panoramique destiné à capturer l’image de « La seine, la rive gauche et l’île de la Cité » vers 1845. On peut également penser à William Southgate Porter et son panorama en huit daguerréotypes de la station hydraulique de Fairmount en 1848. La même année il produira aussi le front de mer de Cincinnati en collaboration avec Charles H. Fontayne. Grace à ce panoramique ils gagneront le prix décerné par l’institut Franklin de Philadelphie pendant l’« Exposition du mécanique et des beaux-arts » en 1849.

Avec l’apparition de la photographie à négatif, on peut citer Martin Behrmanx en 1851 et postérieurement Eadweard Muybridge en 1878, proposant tous les deux des panoramiques à 360°de San Francisco. Plus tard en 1900, on retrouve le Photorama Lumière qui assemble sur un seul cliché la prise de vue à 360°. Contrairement au Diorama, l’exploitation commerciale de ce dispositif ne fut jamais assez rentable et la salle du Photorama installée à Clichy ferma, faute d’affluence.

2-1-3 Le cinéma

En ce qui concerne le cinéma, André Bazin explique le mythe du cinéma total, un des paradigmes qui aurait guidé les ingénieurs créateurs du 7ème art :

Si le cinéma au berceau, n’eut pas tous les attributs du cinéma total de demain, ce fut donc bien à son corps défendant et seulement parce que ses fées étaient techniquement impuissantes à l’en doter en dépit de leurs désirs.(Bazin 1985, 23)

Pour mieux illustrer la pensée d’André Bazin, intéressons-nous à présent à quelques exemples.

Commençons par « Napoléon », film d’Abel Gance où la prise de vue réalisée par une équipe de huit cadreurs prévoit un dispositif de diffusion comprenant trois écrans. Disposés sous forme d’écran central avec un écran supplémentaire assemblé de chaque côté, le film est diffusé par trois projecteurs en simultané. On projette trois scènes séparées ou un grand panoramique en assemblant les trois écrans.

Ensuite il faut citer le Cinémascope, procédé inventé par le professeur Henri Chrétien sous le nom d’Hypergonar, qui fait une anamorphose sur la pellicule à la prise de vue et une désanamorphose à la projection. L’objectif Hypergonar, permet alors de faire des images panoramiques de grande dimension sur un écran légèrement incurvé. La 20th Century Fox investira massivement dans ce dispositif en espérant garantir sa survie face à la concurrence de la télévision. D’autres systèmes comme le Cinérama5ou le TODD-AO6 montrent aussi l’intérêt d’attirer le spectateur aux salles de cinéma. La compétition entre l’industrie du cinéma et la télévision peut s’illustrer par des nombreuses inventions, cependant on peut remarquer que le cinéma a toujours recherché l’immersion.

Pour revenir aux images d’environnement intéressons-nous maintenant au Circlorama, un dispositif de projection panoramique à 360° développé par le professeur russe E. Goldovsky. Composé de onze projecteurs disposés sous forme de galerie autour du public, la prise de vue était assurée aussi par onze caméras et rendait le montage extrêmement complexe et difficile à réaliser. Le son à neuf canaux était reproduit par cinquante-un haut-parleurs installés derrière l’écran et sous le public.

D’autres propositions cherchant l’immersion dans l’image ont suivi dans le temps, dont on peut citer par exemple le Panrama de l’architecte Philippe Jaulmes. Le dispositif, utilisant des objectifs fisheye7 pour la prise de vue et la diffusion, place le projecteur au centre d’un public assis sur des bancs à manière d’un amphithéâtre. La projection se fait à 30° vers le haut, à l’intérieur d’un dôme d’environ 17m de diamètre. Un système semblable sera repris ultérieurement par les dispositifs IMAX et OMNIMAX toujours en exploitation actuellement.

2-1-4 Aujourd’hui

Les premières caméras capables de tourner des images en simultané et dans toutes les directions seront proposées d’abord au grand public et ce malgré leur spécificité technique et technologique.

Les groupes industriels qui se partagent le marché des caméras 360° sont nombreux et les modèles et marques de caméra apparaissent et disparaissent dans un rythme effréné donnant un choix large mais flou au public.

Au-delà des rigs8 qui varient selon le type de caméra choisie, les différences entre les marques et les caméras sont nombreuses. Le nombre d’objectifs utilisés, les dimensions de capture d’image, la qualité d’assemblage final, la vitesse de prise de vue9, le format de capture d’image10, la durée de prise de vue, le dispositif de capsules et de canaux à l’enregistrement pour la prise de son spatialisé11, figurent parmi les choix possibles. Tous ces paramètres mettent en évidence la complexité d’un dispositif de capture d’images à 360° mais témoignent aussi de la diversité que propose l’industrie du numérique au grand public.

Mais il ne s’agit pas seulement d’une proposition technologique marchande pour nous faire consommer. Sur Internet on trouve des sites et des blogs qui expliquent comment fabriquer sa propre caméra 360° donnant un accès à ces images qui se veut vraiment démocratique, jusqu’au point de se fabriquer sa propre machine.

Pour mieux comprendre sur quoi doit reposer le choix dans le flou de la diversité, il est pertinent de nous intéresser maintenant au processus de création des images panoramiques à 360° appelées aussi équirectangulaires12.

2-2 Comment ça marche

2-2-1 L’image

Tout d’abord il est important de souligner qu’il n’existe pas de caméra permettant de faire des images équirectangulaires de manière native et n’utilisant qu’un seul capteur numérique. À l’heure actuelle les capteurs sphériques ou incurvés13 n’ont jamais été produits industriellement. Il faut donc passer par un traitement logiciel des images où celles-ci seront assemblées entre elles pour constituer la projection équirectangulaire. En partant de cette notion d’assemblage, on peut envisager un appareil avec plus ou moins d’objectifs et de capteurs.

Pour mieux comprendre le processus d’assemblage, imaginons qu’on réduise l’appareil de prise de vue à son strict minimum. On doit parler alors d’une caméra avec deux objectifs en fisheye à plus de 180°, positionnés dos à dos et tournant des images en simultané. Le résultat en brut est une bande vidéo d’aspect ratio 2:1 où l’on voit les images des fisheyes, l’une à côté de l’autre. Il est important de retrouver les mêmes repères sur les deux prises de vue, car c’est grâce à ce motif de pixels que le logiciel pourra faire un assemblage par la suite. Dans l’exemple, on spécifie bien qu’il s’agit de fisheye à plus de 180°, autrement on ne pourrait pas trouver les mêmes repères dans les deux images, rendant un assemblage correct impossible.

Pour expliquer de façon très générale le processus et en partant d’une prise de vue en fisheye, l’idée est de superposer une grille avec des coordonnées polaires14sur l’image, en suivant la forme circulaire du fisheye, pour ensuite étirer les côtés, les méridiens de la grille vers les coins d’un carré dans lequel s’inscrit le cercle. Le côté du carré a le même diamètre que le cercle et en assemblant les deux prises de vue maintenant étirées, on parvient à la projection équirectangulaire.

Dans un dispositif à deux objectifs, il faut travailler avec une focale de 200° ou plus pour retrouver les mêmes repères sur les deux vues. Dans un dispositif à 6 objectifs, il faudrait un minimum de 100° par objectif pour retrouver ces repères. L’assemblage se ferait alors en créant d’abord un panoramique avec les 4 prises de vue à l’horizontale, pour ensuite compléter avec les prises de vue du haut (Zénith) et du bas (Nadir).

2-2-2 Le son

La notion de présence (Kim Lee, 2004, 32) que procure l’audio dans l’image à 360°, s’exprime par sa spatialisation. Autrement dit, c’est la modulation d’une source sonore virtuelle, par rapport à la position du cadre que pilote le spectateur, qui crée l’illusion de positionnement du son.

Pour mieux comprendre, imaginons une source sonore placée face à nous sur l’image. Nous regardons avec un casque de réalité virtuelle et nous écoutons avec des casques audio. Pour l’instant, on entend le son de face avec la même intensité à droite et à gauche. Si on tourne la tête à gauche, l’objet visuel qui émet ce son peut disparaître du cadre mais ne disparaît pas de l’écoute. Nous l’entendrons maintenant avec un volume plus fort du côté droit et moins fort à gauche. Dans la simulation, la source sonore est restée spatialement au même endroit bien qu’on ait tourné la tête.

Pour la prise son spatialisée, il est conseillé d’utiliser un dispositif à quatre canaux assemblés sur un seul fichier et des logiciels permettant leur édition. Cette technique, connue sous le nom d’ambisonie15, permet aux algorithmes interprétant la lecture des 4 canaux, de faire les ajustements selon la position de celui qui écoute et pas de manière continue comme le fait un système multicanal16.

2-2-3 Diffusion et visionnage

Après avoir assemblé la vidéo équirectangulaire et le son spatialisé plusieurs possibilités de diffusion et visionnage sont envisageables.

Si on souhaite utiliser correctement le visionnage à 360°, il faut insérer des métadonnées indiquant ces paramètres. Après l’insertion des informations supplémentaires, le lecteur vidéo peut lire la vidéo avec la spécificité du 360°. Autrement il affichera l’ensemble de la prise de vue avec un son non-spatialisé.

En ce qui concerne la diffusion, outre le fait d’installer un lecteur vidéo 360° et de lire les vidéos sur son ordinateur depuis son disque dur, on peut utiliser les services de grandes chaînes de diffusion sur Internet. Youtube (Google) et Facebook, investissent17des sommes très importantes dans le développement des dispositifs de capture d’image, de visionnage et de diffusion des contenus. Ils vont même jusqu’à partager de manière gratuite et parfois libre des outils pour l’édition. D’autres chaînes de diffusion comme Vimeo et Daylimotion proposent aussi la diffusion interactive à 360°, mais sont moins investis dans son développement.

On peut aussi diffuser ses vidéos 360° sur Internet sans passer par un grand groupe de diffusion, en utilisant un CMS18 comme Wordpress avec une extension de lecteur de vidéo 360° comme VR Player ou en codant19 un lecteur capable de diffuser des vidéos à 360°. La partie code est possible aujourd’hui grâce au HTML 5 qui accueille du .X3D, Javascript et les bibliothèques de jQuery, notamment pour la captation de mouvement du smartphone.

Pour accéder à l’audiovisuel 360°, les choix se multiplient une fois la projection équirectangulaire réalisée. On peut visionner les vidéos avec un casque de réalité virtuelle, avec un smartphone en l’utilisant comme le premier ou plus simplement comme lecteur interactif, et enfin sur l’écran de l’ordinateur en orientant le cadre avec la souris.

La durée convenable de visionnage avec un casque d’immersion semble toujours poser question. D’abord elle est limitée par la fatigue du spectateur, pour qui le manque d’habitude peut rendre l’expérience rapidement inconfortable. Le temps de visionnage se prolonge progressivement avec une utilisation régulière et il n’existe pas vraiment une durée limite. Les industriels signalent dans des notices d’utilisation, comme c’est le cas du Vive de HTC, les problèmes liés à l’utilisation prolongée

Pour conclure, il est important de remettre en question la spécificité d’expérience individuelle que propose la vidéo 360°, où sa manipulation personnalisée, isolée et son visionnage, voire l’expérience vécue, ne sont pas partagés par un public.

C’est peut-être à ce propos que le cinéma 360°, par l’effervescence de son expérimentation, peut tisser des liens qui concilient un spectacle partagé en public avec une expérience immersive-interactive-individuelle. À la manière d’un cinéma muet faisant appel au piano pour accompagner les histoires, le dispositif du cinéma virtuel pourrait être une diffusion en projection avec un pilotage en direct du point de vue de la caméra. Nous aurions alors un narrateur, cadreur en temps réel, véhiculant avec dextérité le cadre et la narration. Nous proposant ce qu’il considère important à regarder, construisant à chaque visionnage une histoire inédite éphémère et partagée, ce « maître » du cadre guiderait alors le public dans le récit. Plus tard dans le texte on parlera de quelques expérimentations allant dans cette direction.

Maintenant que nous avons abordé très sommairement le fonctionnement du dispositif et les moyens de diffusion, il est important de citer les contraintes qui jouent un rôle important dans toutes les étapes de la création de contenu. Ces contraintes se manifestent de manière opposée à la liberté que semble donner le pilotage du cadre, maintenant géré par le spectateur.

2-3- Les contraintes

2-3-1 Une écriture adaptée ?

On peut dire qu’il est possible d’écrire pour ce format, de la même manière dont on traite l’écriture pour un dispositif faisant appel à la dramaturgie. Si la spécificité du 360° donnerait à penser à quelconque particularité ou un secret à déceler, nous devons garder en tête qu’il s’agit avant tout d’une narration.

Les événements qui s’assemblent en récit devraient être mis en valeur en privilégiant une seule histoire, car proposer multiples intrigues rend difficile la compréhension et peut provoquer de la frustration et la confusion chez le spectateur.

Aucune identification avec le protagoniste ne serait possible sans pouvoir mettre en avant un des personnages à l’intérieur d’un groupe. Il s’agit ici de proposer un récit qui doit être envisagé comme tel, avec ses règles et particularités.

Par rapport à la valeur de plan et au montage, l’écart est grand avec l’audiovisuel conventionnel. Imaginons que l’histoire demande de mettre en valeur un personnage ou un objet important de la scène avec un zoom rapide. Pour illustrer cet exemple on peut penser à un film d’arts martiaux où le personnage découvre son adversaire juste avant le combat. Sans pouvoir changer la valeur focale d’un seul des objectifs à la fois, il n’est pas possible de faire un zoom sur un élément pour le mettre en valeur. Faire un zoom sur un des objectifs séparément, changerait inévitablement les points de repère nécessaires pour l’assemblage. La projection équirectangulaire aurait alors des parties avec des échelles différentes et empêchant de distinguer clairement les traits d’union20.

On ne peut pas non plus jouer avec la mise au point dans un plan et si on tient absolument à utiliser un raccord de champ contre-champ pour construire le récit, il faudrait alors déplacer l’appareil vers l’élément à mettre en valeur ou faire venir les comédiens très près de la caméra. Le raccord, envisagé comme l’outil du montage qui permet de créer une narration, semble soudain perdre son sens. Réexaminer son fonctionnement ne peut que mieux permettre de l’adapter au support.

En partant de ce constat, on peut suggérer que le dispositif de prise de vue en 360° remet au centre de la narration la mise en scène, d’un point de vue théâtral. Les comédiens sont mis en valeur par la dramaturgie, leur position dans l’espace scénique, le jeu de lumières ou la position des décors. Pourtant il ne s’agit pas d’écrire pour ce dispositif en composant uniquement avec des plans séquence en essayant d’imiter la mise en scène du théâtre, car même si le montage doit être repensé autrement, sa puissance narrative reste inaltérée.

Le pouvoir de regard aléatoire donné au spectateur devient une contrainte supplémentaire pour le réalisateur. Il doit maintenant trouver les astuces qui permettront au public de regarder au bon endroit pour ne pas manquer les événements importants de l’histoire. Mais comment attirer l’attention du public sans être trop évident ? Une fois l’écriture du récit qui tient compte des problématiques décrites achevée on peut passer à la réalisation.

2-3-2 L’équipe de tournage et la machinerie de la caméra. La disparition du cadreur ?

La plus grande contrainte à l’heure de la production est la nature même du dispositif. Ce point de vue total qui fait disparaître le hors-champ et qui oblige à prévoir des astuces pour déplacer ou faire pivoter la caméra devient une source d’ennuis pour le réalisateur.

Avec ces problématiques le cadreur semble être voué à disparaître. Pour commencer, sa dextérité au moment de manipuler la focale et de cadrer la cible du plan n’est plus nécessaire étant donné que la prise de vue englobe tout l’environnement laissant le choix du cadre au spectateur. Ensuite et comme pour toute l’équipe de tournage, il doit maintenant se cacher pour ne pas apparaître sur l’image.

Bien que l’image à 360° semble faire disparaître le cadrage, il faut dire que le cadreur garde tout de même un contrôle au moment de la prise de vue, quand il manipule les drones ou voitures télécommandées qui transportent la caméra ou avec des dispositifs de type Steadycam qu’il porterait sur la tête ou ailleurs21. On peut voir un exemple des deux cas cités sur la bande d’annonce à 360° du film Suicide Squad22. D’abord la caméra avance en travelling dans l’axe pendant que les personnages progressent dans des locaux et se font attaquer par des soldats. Ensuite on rejoue la même scène en gardant les mouvements propres au point de vue subjectif de Harley Quinn, un des personnages du film.

2-3-3 Limites de mouvement de caméra, de la prise de vue et du son

Par rapport aux changements de cadre dans un plan séquence, il existe toujours la possibilité de les faire en post-production, soit avec des prises de vue réelles en cachant le dispositif de déplacement ou avec le montage, en mélangeant des techniques comme la pixilation, l’accéléré ou l’animation.

Seulement il faut garder en tête que tous les systèmes de diffusion ne se prêtent pas aux mêmes mouvements de caméra. Si la vidéo est censée être vue avec un casque d’immersion, les mouvements et changements de direction brusques sont à proscrire, car ils peuvent causer des fortes gênes chez le spectateur. Ce malaise, plus connu sous le nom de Cybersickness (Burdea., Coiffet., 2006, 269) se produit quand les informations visuelles que reçoit le cerveau, ne correspondent pas avec les informations spatiales envoyées par l’oreille interne. Le spectateur peut avoir des nausées et perdre l’équilibre, mais il peut résister en gardant sa concentration. Les changements de focale, les travellings, les plans d’accompagnement ou les panoramiques auraient du mal à être utilisés pour les mêmes raisons.

En tant que réalisateur, il serait inenvisageable de rendre malade le spectateur avec ces changements, mais il serait possible de les imaginer comme outils pour accentuer des moments importants de la narration, comme cela arrive avec les infrasons qui créent la tension dans un thriller.

Il faut aussi prévoir un recul minimum de la caméra à l’endroit de la zone d’assemblage, c’est-à-dire l’endroit de rencontre des images prises par les objectifs. Ce recul est nécessaire, car la proximité à ces endroits déforme et coupe l’image à l’assemblage. On peut alors retrouver des éléments du décor ou des corps, déformés ou coupés, recollés maladroitement. Dans le cas concret de la caméra à deux objectifs, le plan d’assemblage est positionné perpendiculairement aux deux fisheyes, comme si on coupait en deux la caméra. Le recul se situe à environ 0,8m et 1m de distance de l’appareil. À l’intérieur de ce périmètre, tout objet se trouvant sur les deux vues sera coupé.

Sur les appareils à plus de deux objectifs, le résultat d’assemblage est d’habitude mieux réussi mais les zones d’assemblage sont plus difficiles à repérer dans l’espace. Sans pouvoir prévoir en amont de la prise de vue, on ne peut que subir les aberrations optiques.

Par rapport à la prise de son, bien qu’il soit possible technologiquement de faire des captures de son spatialisé telles que décrites précédemment, les problématiques ressemblent à celles de l’image. D’une part, la prise de vue à 360° oblige à cacher les capsules et les techniciens qui enregistrent le son. Ensuite par rapport à la diffusion, le son spatialisé n’est pas géré correctement par tous les lecteurs vidéo. Comme nous l’avons dit précédemment, la technique d’ambisonie semble la mieux adaptée à la réalité virtuelle, seulement que rien ne peut garantir son utilisation standardisée dans un futur proche. Par ailleurs, et tenant compte de la difficulté d’une prise de son spatialisée correcte, le son 360° sera toujours finalisé en post-production.

3-Esthétiques et techniques

Après avoir cité une liste non exhaustive des contraintes d’écriture et de réalisation liées à l’audiovisuel en 360°, nous pouvons maintenant aborder une partie dédiée à l’analyse. Dans un premier temps nous aborderons I, Phillip23 réalisé par Pierre Zandrowicz, pour ensuite nous intéresser à des recherches personnelles dans le domaine et réalisées dans le cadre d’une résidence artistique.

Par rapport au choix des vidéos, il faut dire qu’il n’y a pas de critères de recherche en particulier. Le choix s’est fait au visionnage, au moment où on repère quelques-unes des problématiques citées et on essaye de déduire comment chaque production a trouvé une solution.

3-1 Une esthétique du hors-champ.

La fiction de Pierre Zandrowicz nous propose le point de vue subjectif de la conscience numérisée de Phillip K. Dick. L’histoire s’inspire des événements liés à la disparition de la tête de l’androïde créé par la société Hanson Robotics à l’effigie de l’écrivain de science-fiction.

Dans cet exemple nous parlerons d’abord du dispositif de raccord en fondu pour ensuite nous intéresser à la réalisation du film.

3-1-1 L’idée du raccord en 360°.

Dès les premiers instants nous sommes transportés dans un monde onirique où nous avançons vers l’infini, entourés par des nébuleuses colorées. Soudain, vers une minute trente sec., les formes qui nous entourent s’affichent assemblées sous forme de blocs cubiques quadrillés, comme si l’image devenait en quelque sorte numérisée, géométrisée. Pour mieux visualiser ces blocs il faut imaginer l’image qu’on perçoit derrière les briques de verre d’une salle de bain. Le mouvement de la caméra s’arrête et peu à peu les cubes d’image numérique deviennent moins flous en laissant apparaître une image nette. On découvre alors deux hommes dans une grande pièce s’adressant à la caméra. Le reste de l’image, c’est-à-dire l’arrière-plan, à droite, à gauche, en haut (cf. zénith) et en bas (cf. nadir), se fait lentement nette à son tour jusqu’à découvrir l’intégralité de la salle. Pour changer de plan, le même dispositif est reproduit, cette fois joué depuis l’image nette transformée en blocs flous quadrillés qui changent progressivement vers un fond noir.

La méthode est utilisée régulièrement dans le film. Elle peut être associée avec un fondu nuancé vers le noir marquant une ellipse de temps. Dans ce cas elle indique le temps qui passe quand on éteint la tête de l’androïde. D’un point de vue esthétique, l’image affichée et la conscience numérique de K.Dick ont une connexion, car les briques de verre suggèrent une sorte de numérisation cubique de l’espace. Chaque cube représente un bloc d’information qui, assemblé avec les autres, compose une image nette. D’un autre côté, ce fondu a la particularité d’être progressif et de montrer d’abord ce qui est nécessaire à la narration. L’affichage flou véhicule le regard d’un spectateur vers l’image nette, vers la compréhension de l’histoire. Bien que le montage propose aussi des raccords rapides entre différents plans-séquence, ceux-là seront plutôt associés aux souvenirs du personnage principal. Bien que le film n’ait pas besoin de changer le point de vue pour assurer une compréhension correcte de l’histoire, le réalisateur propose ce dispositif de fondu par brique floue permettant de rattraper un regard qui se serait égaré à force d’explorer un environnement. Ces fondus esthétisés deviennent des points de repère visuel aidant le spectateur à suivre la narration.

3-1-2 S’adapter au support en respectant un choix esthétique.

En ce qui concerne la réalisation du projet, on apprend qu’il s’agit d’un vrai faux film à 360°. Comme le raconte le réalisateur pendant les rencontres du Paris Virtual Film Festival 201624, le choix s’est porté vers une technique différente de la prise de vue faite par un seul appareil. D’après Zandrowicz, l’image que pouvait produire la technologie de l’époque, n’avait pas la qualité recherchée et limitait les paramètres de la prise de vue conventionnelle dont le hors champ. L’absence de l’équipe de tournage sur le plateau était inimaginable et semblait compliquer davantage la réalisation. Par ailleurs, dans l’intérêt de proposer une immersion plus importante, l’équipe de tournage décide de faire le 360° en images stéréoscopiques pour avoir une meilleure impression de volume au visionnage avec un casque. La solution qu’ils ont trouvée consiste à diviser l’environnement selon la longueur de focale utilisée, comme s’il s’agissait d’une tarte ronde coupé comme un camembert. Chaque part de gâteau serait tournée séparément et ensuite assemblée avec les autres parts en post-production. Seulement ce qui semblait arranger le problème d’avoir l’équipe de tournage en plateau a créé des complications pour les dialogues et obligé les comédiens à jouer parfois dans le vide à l’aide d’oreillettes.

Quant à l’utilisation de cette technique de prise de vue sectionnée, on ne peut pas voir des problèmes de délai dans les dialogues, ou savoir exactement les lieux d’assemblage. Le résultat est très réussi. Le seul défaut d’assemblage évident se trouve sur le plan du couloir d’entrée à la salle de conventions (8:27). Quand on regarde au maximum du zénith, c’est-à-dire le haut virtuel de l’image, on peut voir comment les lames qui composent le faux plafond se déforment à l’intérieur d’une sorte de tourbillon.

Pour le réalisateur, le choix d’un dispositif de tournage plus complexe se justifie en voulant reproduire un plateau de tournage conventionnel et une qualité d’image plus proche du cinéma. Produire une imagerie à grande gamme dynamique25 ou les valeurs de plan possibles grâce au flou de la profondeur de champ. Bien que la qualité d’image soit très réussie, sa diffusion reste limitée à cause de la relation entre résolution, compression d’image et taille des fichiers.

Pour mieux comprendre cette relation, il faut imaginer que le film a été tourné pour une diffusion avec une résolution 4K, compressé pour avoir une taille de fichier plus petite et rapide à télécharger. Plus petit est le fichier, plus importante est la compression et moins fidèle la qualité d’image au 4K d’origine. À l’époque du tournage, le matériel informatique permettant de réaliser des assemblages avec des résolutions d’image plus grandes que le 4K n’existaient pas. De nos jours, dans ans seulement après de la sortie du film, le matériel de prise de vue a évolué considérablement en doublant la résolution des images26.

3-2 Production personnelle

Analyser une production personnelle, n’est pas une chose simple. Il manque toujours un peu de distance pour évaluer correctement les objets créés. Nous tenterons de partager ces expériences de création, comme un parcours de découverte, en proposant ce qui semble revêtir de l’importance à chaque étape de création.

3-2-1 Résidence d’artiste

Produites dans le cadre d’une résidence artistique à l’Espace III Croix Baragnon, les objets audiovisuels à faire n’avaient pas les impératifs narratifs propres au cinéma. Sans l’obligation de raconter une histoire, il s’agissait avant tout de produire des images 360° pour une installation numérique interactive où le contenu n’était pas une contrainte. Les conditions exceptionnelles de temps et d’espace pour expérimenter avec ce médium ont permis de produire plusieurs court-métrages. Nous aborderons les productions en suivant un ordre chronologique de création.

Pour commencer, nous parlerons d’une animation en images de synthèse où les drapeaux des membres du G8 flottent aléatoirement accompagnés par ses hymnes nationaux, tous joués au même temps. Quand le drapeau d’un pays s’avance vers le point de vue du spectateur, l’hymne respectif est joué avec un volume plus fort que les autres. La vidéo 360° La Danse du G8 tente de mettre en évidence la difficulté des pays qui composent ce groupe pour se mettre d’accord autour de sujets d’importance mondiale. Les drapeaux semblent danser comme si des relations se tissaient entre eux, sans que le spectateur puisse comprendre leur nature et leur but.

La deuxième production 360° est le court-métrage en prise de vue réelle, Le jour d’après, écrit et co-réalisé avec Frédéric Laberenne. Ce thriller d’anticipation propose un univers post-apocalyptique où le public est plongé dans des lieux déserts, vandalisés, qui semblent avoir été désertés du jour au lendemain sans aucune explication. Il s’agissait des anciens locaux de la faculté de chimie de l’université de Toulouse, laissés à l’abandon depuis plusieurs années. Le public se retrouve plongé dans des plans longs qui lui laissent le temps d’explorer convenablement chaque environnement proposé.

Dès l’écriture, il était question de pousser le spectateur à chercher, à attendre quelque chose, sans pour autant être explicite, ni guider son regard. Le plan fixe d’une vidéo 360° sans personnages, permet d’utiliser les décors pour suggérer une histoire sans faire un appel direct à la dramaturgie. L’idée était de profiter de ces lieux, d’une sémantique riche visuellement pour créer une tension. Des bruitages comme des grognements, des pleurs d’enfant, ou des pas dans les couloirs et les ambiances sonores lugubres, parfois angoissantes, complètent la vision apocalyptique souhaitée. Le spectateur passe son temps à chercher des indices sur ce qui est arrivé. Peu à peu il s’approche de la fin et se découvre surveillé.

Pour finir, Mythe : le Diable des Caraïbes, est une expérience sensorielle où le spectateur avance dans la ville en suivant un plan d’accompagnement à la troisième personne, au-dessus d’un cycliste, vers une destination inconnue. L’animation en volume accéléré est remplacée progressivement par des images du cosmos et un tunnel lumineux où l’on distingue parfois des billets en euro et en dollars, enflammés. Soudain, pendant le trajet vers un grand point lumineux, on voit apparaître à l’arrière et devant nous des personnages masqués qui attrapent avec leurs mains fluorescentes le point de vue.

Le court-métrage se veut une recherche sensorielle autour du mouvement de caméra dans l’espace. À travers la prise de vue réelle et l’imagerie de synthèse l’idée est de suggérer le passage vers un monde onirique, comme s’il s’agissait d’un chemin vers les rêves. Le spectateur semble poussé instinctivement à diriger le point de vue vers ce qui arrive en oubliant un peu ce qu’il laisse derrière.

3-2-2 La diffusion

Pour la restitution des lieux, il était question d’investir l’espace autrement qu’avec des vidéos interactives projetées sur un mur. De nombreuses questions se posaient quant aux périphériques d’affichage et de pilotage du cadre.

S’agissant d’un format qui propose l’exploration de l’espace, il semblait quelque part incohérent de faire la projection sur une surface plate. Le médium, tel qu’il a été conçu, appelle au volume et à la profondeur. Par ailleurs, on pouvait ressentir une analogie entre l’exploration d’un monde à 360° et le miroir d’Alice au pays des merveilles. Il était important de pouvoir se balader autour d’un objet de transition, devant et derrière l’image.

Partager l’expérience immersive de celui qui pilote le point de vue du cadre devenait aussi un sujet d’importance. Il est possible d’avoir un retour sur l’affichage du casque d’immersion, mais s’agissant d’un accessoire qu’il faut mettre et enlever, la circulation devenait compliquée avec des temps d’attente trop importants entre chaque spectateur. Il fallait trouver un autre dispositif, moins contraignant. Bien que le casque propose un degré d’immersion très important qui mérite d’être exploré, le public n’est pas toujours motivé pour l’utiliser, car il a peur qu’il le rende ridicule. Des problématiques liées à l’installation vidéo plutôt qu’à l’audiovisuel lui-même qui devaient être résolues. Finalement, il a été décidé de proposer le thriller d’anticipation en visionnage avec le casque pour accentuer le caractère de solitude et d’oppression recherchées. Les autres vidéos 360° se prêtaient mieux à la projection sur dôme, car il s’agit d’expériences visuelles polysémiques, plus faciles à partager.

En partant de ce besoin de projeter sur un volume, on a décidé la projection sur un dôme avec sa base placée perpendiculairement au sol. Le choix d’une sphère géodésique semblait le plus juste et facile à réaliser. Il suffisait de coller les triangles de la géode entre eux pour réussir l’assemblage du volume.

La première taille de dôme testée permettait une immersion correcte pour l’utilisateur mais rendait difficile le visionnage pour les autres spectateurs. Avec un mètre de diamètre, le dôme était couvert très rapidement par le haut du corps de l’utilisateur. Des formats plus grands devaient être utilisés mais leur construction posait des problématiques liées à la surface de transfert. D’une part, celle-ci devait être translucide pour permettre un visionnage en projection et rétroprojection. D’un autre côté elle devait avoir une structure autoportante pour éviter des ombres gênantes au visionnage. Le premier test a mis en évidence l’importance d’utiliser une structure rigide autour de la circonférence du dôme. Sans cet anneau comme structure pour la base du volume, le dôme se déformait trop facilement devenant une forme ovoïde inapte à la projection. Le matériau le plus adapté pour faire des anneaux aussi grands est un tube de PER27 en multicouche, utilisé souvent en plomberie. Ses caractéristiques de malléabilité et rigidité ont permis de construire une structure circulaire convenablement rigide. L’anneau renforcé avec un cadre, devenait la structure idéale pour soutenir la géode dans la position prévue.

Au total, 5 dômes furent nécessaires pour arriver à construire la structure principale de deux mètres quatre-vingt de diamètre. Un sixième dôme de deux mètres fut construit pour tester la viabilité d’une construction en solitaire. Par rapport à la surface de projection, on peut dire que le grammage du papier utilisé pour les dalles triangulaires, associé au scotch mate pour les assembler, a permis un assemblage rigide et propre. Le dôme plus grand est resté sur place plus de quatre semaines sans aucune déformation apparente. Quelques recollages de scotch furent nécessaires mais rien susceptible de compromettre directement la structure.

Les dômes produits ont permis de revisiter la diffusion tout en partageant l’expérience à plusieurs. Quant au sens de projection sur le dôme, ces premiers essais lancent des pistes intéressantes pour des installations à venir : à l’horizontale, à la verticale à 45° ? Comment créer des analogies entre l’interface de pilotage et le contenu ? Comment transformer la projection en spectacle partagé ou en spectacle vivant ?

4 - Conclusion

4-1 Raconter une histoire

Intéressons-nous d’abord à l’idée reçue d’une écriture spéciale. Suite à des nombreuses expériences de création, on peut se permettre de dire qu’il n’existe pas une méthode particulière d’écriture pour ce type de médium. Bien qu’on aimerait avoir plusieurs versions en simultané d’une même réalité, si le but est de raconter une histoire, il est impossible de se passer des règles de la dramaturgie. Comme propose Yves Lavandier dans La dramaturgie, l’art du récit,

Cette forme se résume au schéma suivant : personnage – objectifs – obstacles. Elle constitue le principe de base de la dramaturgie, dont elle contient tous les mécanismes fondamentaux et structurels : caractérisation, structure, unité, préparation. Elle naît de l’essence du drama, le conflit, qu’en même temps elle génère. Les choix du personnage, de son objectif et de ses obstacles étant infinis, cette forme simple et unique peut engendrer une infinité de récits.

(Lavandier 1994, 31)

Dans une histoire racontée avec des images en 360°, la problématique narrative reste la même. Si on raconte plusieurs histoires en simultané, on ne raconte pas une seule histoire, mais plusieurs qui complètent une histoire principale. Le dispositif donne la possibilité au spectateur de s’intéresser davantage aux détails de l’univers du film, mais il ne peut s’échapper de la contrainte des événements qui conduisent peu à peu les personnages vers leur destin.

4-2 Le cadre opposé au regard omniscient et la disparition du hors champ

Quoique le dispositif donne la possibilité au public de piloter le point de vue de sa propre expérience, on ne devrait pas conclure que cette liberté prive le réalisateur du contrôle sur son œuvre. D’une certaine manière, il ne s’agit plus de composer un cadre fixe, univoque où l’on maîtrise le langage du cinéma en passant par le montage, mais de créer l’image de l’univers qu’on propose au spectateur. Bien que le public puisse regarder où il veut, le cadre du réalisateur devient l’ensemble de l’image-environnement et le public ne peut que regarder à l’intérieur. Il serait plus astucieux pour le réalisateur de vidéos 360° de se voir avant tout comme un metteur en scène de théâtre. Avec l’impossibilité de faire appel au montage pour résoudre des problématiques narratives, il doit jouer essentiellement avec une mise en espace des personnages et avec les intentions dramatiques propres à chacun dans la séquence.

Le cadre est toujours là, mais maintenant il est plus vaste. S’agissant de codes audiovisuels, on devrait pouvoir retrouver les mêmes procédés mais de manière différente. Pour un zoom ou un plan de détail, on rapproche la caméra de l’action. Pour la mise en valeur des personnages, pour les ambiances, on peut s’inspirer des éclairages du spectacle vivant et jouer avec leurs codes au moment de la prise de vue.

4-3 Définir l’objet audiovisuel

Pour bien comprendre les limites de la vidéo 360° et ses différences avec la réalité virtuelle, il est pertinent de citer Philippe Fuchs dans son article autour du sujet, paru sur le site Internet realite-virtuelle.com28 :

La différence essentielle est dans l’approche du réalisateur : considère-t-il l’usager comme un usager passif, spectateur ou comme un usager partiellement actif (nommé par le néologisme « spec-acteur » ? Dans le premier cas, on reste dans le domaine cinématographique. Dans le deuxième cas, on est dans le domaine de la réalité virtuelle. La différence n’est pas donc dans les dispositifs techniques employés, mais dans la possibilité offerte à l’usager. S’il peut se déplacer librement dans l’environnement virtuel ou, au moins avoir un choix des trajectoires différentes, s’il peut manipuler des objets, s’il peut dialoguer avec des personnages ou s’il peut influencer le déroulement du scénario ou de l’application, il est un spec-acteur d’une VR vidéo.[…] Mais s’il ne tourne la tête que pour mieux observer le spectacle créé par le réalisateur, en restant immobile ou en se déplaçant sur des trajectoires imposées par le réalisateur, il est spectateur d’une vidéo 360°.

Nous aimerions comprendre la définition de Fuchs dans la mesure où elle décrit la passivité du spectateur liée au déroulement des événements présents dans l’audiovisuel. Le spectateur d’une vidéo 360° ne peut changer la suite des événements de l’histoire qu’il regarde. Bien qu’il puisse ressentir sa présence à l’intérieur de l’image, chaque visionnage aura toujours la même fin sans qu’il puisse altérer d’une manière ou d’une autre la linéarité du récit. Peut-être le mot passif n’est pas tout à fait adapté quand on parle de spectateur, car celui-ci est toujours actif dans la mesure ou il réfléchit, ressent et vit expérience audiovisuelle.

On ne devrait pas voir la vidéo en 360° comme une évolution du cinéma mais peut-être peut-on trouver en elle, l’étincelle, la curiosité que procure un terrain vierge à explorer.

Notes finales

1Le réalisme montre le quotidien de la France sous la seconde république et le second Empire.

2En 1863 est créé le Salon des refusés qui rassemble les artistes marginaux de l’art reconnu par l’institution.

3Raoul Coutard, opérateur venu du monde du documentaire et des armées est sans doute un des représentants les plus atypiques de la nouvelle vague, en collaborant avec nombreux réalisateurs du mouvement dont notamment Godard.

4L’évolution de la perspective en tant qu’outil artistique se produit en grande partie grâce à l’intérêt des peintres de la renaissance pour les sciences et notamment les études des géomètres grecques tels que Euclides, Appolonius, Ménélaüs et Pappus.

5Système qui utilise la prise de vue de trois caméras avec des objectifs de 27mm tournant en simultanée pour une projection en salles avec trois projecteurs donnant une vision à 146°.

6Dispositif qui permettait de projeter des films 70mm en angle de 128°. Le projecteur se trouvait au centre du public et projetait sur un écran fortement incurvé.

7Objectifs de très courte focale qui permettent d’avoir une prise de vue plus large en déformant l’image.

8Structure permettant d’accueillir plusieurs caméras disposées avec des angles précis, les unes par rapport aux autres.

9Bien qu’on puisse toujours brancher la caméra en secteur, il faut un débit de données et une capacité de stockages importants.

10Certains appareils proposent les images en RAW, ou brut, c’est-à-dire que le fichier numérique de l’image ne subit aucune compression et conserve toutes les informations collectées par le capteur. Si ce format donne plus de possibilités à l’assemblage et à l’étalonnage il augmente considérablement la taille en octets des fichiers.

11Le son spatialisé en 360° fait référence à un dispositif qui module le son selon la position du casque en gardant la position des sources sonores dans l’espace. Si on tourne la tête, le son qu’on entendait à gauche on l’entendra maintenant à droite comme s’il était resté fixé dans l’espace.

12Projection cartographique aussi connue sous le nom de projection cylindrique équidistante est la projection de coordonnées polaires sur une surface cylindrique ensuite dépliée en rectangle de format 2:1. x=cos(φο) (λ-λο) y= (φ-φο)

13L’université d’Illinois a construit un prototype de caméra avec un capteur incurvé imitant la forme et les fonctions de l’œil humain.

14Système de coordonnées bidimensionnel où le repère principal est le centre (pôle). Les coordonnées polaires sont la coordonnée radiale et la coordonnée angulaire. La coordonnée radiale est la distance entre un point x et le pôle. La coordonnée angulaire est l’angle mesuré entre deux points par rapport au pôle.

15https://fr.wikipedia.org/wiki/Ambisonie

16Le systèmes multicanal (5.1 , 7.1) tiennent compte de la position des haut-parleurs dans l’espace.

17https://www.realite-virtuelle.com/facebook-3-milliards-dollars-vr-1901 , https://www.realite-virtuelle.com/top-10-investisseurs-en-vr-et-ar

18Content Management System.

19Pour des explications détaillées, voir les liens Internet dans la partie Coder un lecteur 360° pour Internet en fin de texte.

20Hypothétiquement, il serait possible de faire un zoom ou changer la profondeur de champ à la prise de vue avec un dispositif où tous les objectifs sont reliés entre eux. Autrement le zoom et la profondeur de champ sont envisageables en post-production avec des algorithmes de déformation d’image. Malheureusement aujourd’hui aucune des deux possibilités existe.

21On peut imaginer un dispositif de prise de vue à la 3ème personne.

22https://www.youtube.com/watch?v=oZgXph7bY0o

23http://creative.arte.tv/fr/episode/i-philip

24http://www.forumdesimages.fr/les-programmes/toutes-les-rencontres/quelle-narration-et-quelle-ecriture-pour-la-realite-virtuelle

25https://fr.wikipedia.org/wiki/Imagerie_%C3%A0_grande_gamme_dynamique

26https://www.insta360.com/product/insta360-pro/

27Polyéthylène réticulé

28https://www.realite-virtuelle.com/video-360-vr-fuchs

Bibliographie

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Le Jour d’après, 2016, réalisé par Fréderic Laberenne et Manuel Siabato, Espace III Croix Baragnon.

La danse du G8, 2016, réalisé par Manuel Siabato, Espace III Croix Baragnon, Youtube.

Mythe : Le diable des Caraïbes,2016, réalisé par Manuel Siabato, Espace III Croix Baragnon, Youtube.